Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/277

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gle et de ce boiteux qu’il guérit, ou ce que saint Grégoire raconte de l’âme de Trajan ! Les hommes savent trouver une perle dans un bourbier et séparer le grain de la paille. Dieu peut-il méconnaître les dons qu’il a faits aux infidèles et maudire en eux ses bienfaits ? Plus les signes de ces bienfaits sont éclatants, plus il prouve qu’il en est l’auteur et que la méchanceté des hommes ne saurait en altérer le caractère, mieux il montre quelles doivent être les espérances des fidèles, en voyant la façon dont sont traités les infidèles.

De quel respect était entourée, chez les infidèles, la chasteté des vierges vouées au service des temples, la punition réservée à celles qui la violaient le fait connaître. Juvénal, parlant de cette punition dans sa IVe satire, dit de Crispinus, qui en est l’objet : « Hier encore auprès de lui était couchée, couronnée de bandelettes, une vestale qui va descendre toute vive sous la terre. » Ce qui a fait dire à saint Augustin, dans sa Cité de Dieu, livre III : « Les anciens Romains eux-mêmes enterraient toutes vives les prêtresses de Vesta coupables d’incontinence, tandis que les femmes adultères, ils se contentaient de les frapper de quelque peine, mais jamais de la peine capitale. » Tant il est vrai qu’ils vengeaient plus sévèrement ce qu’ils regardaient comme le sanctuaire des dieux, que la couche des hommes !

Chez nous, les princes chrétiens ont veillé avec d’autant plus de soin à la chasteté monastique, qu’on ne peut douter qu’elle soit encore plus sacrée. C’est ce que prouve la loi de l’empereur Justinien. « Si quelqu’un, dit-il, ose, je ne dis pas ravir, mais seulement essayer de séduire, en vue du mariage, les vierges consacrées à Dieu, qu’il soit puni de mort. » La discipline ecclésiastique cherche plutôt le repentir du pécheur que sa perte ; avec quelle sévérité, cependant, elle prévient les chutes ! Le pape Innocent, écrivant à Victricius, évêque de Rouen, lui disait (chapitre XIII) : « Si celles qui épousent Jésus-Christ spirituellement et qui reçoivent le voile des mains du prêtre viennent à se marier publiquement, ou à se livrer secrètement à un commerce illicite, elles ne devront être admises à la pénitence qu’après la mort de l’homme avec lequel elles auront vécu. » Quant à celles qui, n’ayant pas encore reçu le voile, auraient feint de vouloir vivre dans l’état de virginité, bien qu’elles n’aient pas reçu le voile, elles devront être, pendant un certain temps, soumises à la pénitence, parce que le Seigneur avait reçu leur serment.

En effet, si un contrat passé entre des hommes ne peut être rompu sous aucun prétexte, combien moins un pacte fait avec Dieu pourra-t-il être impunément violé ? Saint Paul dit que les femmes qui ont rompu le veuvage qu’elles s’étaient promis de garder ont mérité condamnation pour avoir violé leur engagement : que sera-ce donc des vierges qui n’ont pas gardé la foi qu’elles avaient jurée ? C’est ce qui a fait dire au fameux Pelage, dans sa lettre à la fille de Maurice : « La femme adultère vis-à-vis de Jésus-Christ est plus coupable que celle qui s’est rendue adultère vis-à-vis d’un homme.