Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Sensibles à ces avis, répond Héloïse, et en cela, comme en tout le reste, faisant de notre mieux pour accomplir envers vous les devoirs de l’obéissance, nous avons été saisies, nos sœurs et moi, d’un ardent amour de la science des Écritures ; suivant votre recommandation, nous avons travaillé à en approfondir le sens ; mais souvent des obscurités nous arrêtent, et nous venons, comme des disciples à leur maître, comme des filles à leur père, vous demander des éclaircissements[1]. » Ainsi s’engage un échange de questions et de réponses : questions simples, précises, parfois embarrassantes par leur netteté même et qui témoignent d’une lecture aussi attentive qu’intelligente ; réponses étendues, raisonnées, érudites, plus subtiles en général que concluantes, mais pour lesquelles Abélard ne ménage ni son savoir ni son esprit.

Ce n’étaient donc pas seulement les principes de son enseignement qui présidaient à l’ordre général du Paraclet ; sa pensée en inspirait, en réglait incessamment la pensée. Et qui ne sent que, dans ce commerce de direction souveraine et de subordination absolue, Héloïse et Abélard trouvaient, tous deux, autre chose qu’une pure satisfaction de savoir, d’intelligence et de raison ?

Héloïse, fidèle à ses engagements, « a fait rentrer son cœur dans le silence. » Depuis qu’elle a promis de se contraindre, nous n’avons plus de sa main que la lettre où elle expose ses idées au sujet du gouvernement du Paraclet, et quelques lignes de billets d’envoi. Mais, flamme assoupie et non éteinte, le sentiment qui la possède se fait jour : ici par des exagérations de défiance d’elle-même ; là, par des effusions d’obéissance ; ailleurs, par la vigueur d’une simple expression, où elle ramasse toutes les forces de son âme ; ailleurs enfin, par des explosions de tendresse qu’elle arrête aussitôt, mais qu’elle n’a pu contenir. « Ô maître cher à tant de cœurs, mais à nul plus qu’au nôtre ! s’écrie-t-elle[2], c’est vous qui avez réuni dans ce temple, qui est vôtre, les servantes du Christ, vos filles spirituelles ; c’est vous qui les avez soumises au joug du Seigneur ; vous qui nous avez pressées de nous appliquer à l’intelligence de la parole divine, vous qui vous êtes chargé de la direction de nos études et de nos vertus… » Peu s’en faut qu’elle n’ait ajouté, appliquant la parole de saint Paul : « En vous nous existons, nous vivons, et nous sommes. » Toutes les recommandations, tous les conseils, les moindres mots d’Abélard,

  1. Questions et réponses, p. 515.
  2. Id. ibid.