Aller au contenu

Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres II.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LETTRES D’ABÊLARD ET D’HÉLOtSE.

549

Au surplus, si vous bénissez en esprit, qui pourra prendre le rôle du peuple ? Comment répondra-t-il amen à votre bénédiction, s’il ne sait ce que vous dites ? Votre action de grâces est bonne, mais nul n’en est édifié. Je rends grâces à Dieu de ce que je parle une langue que vous entendez tous, mais j’aimerais mieux, quant à moi, dire dans l’église cinq paroles intelligibles qui instruiraient les autres, que dix mille dans une langue étrangère. Mes frères, ne soyez pas enfants par l’intelligence, 6oyez enfants par la méchanceté ; par l’intelligence soyez parfaits. »

Parler une langue c’est former des sons, et non pas en donner l’intelli- gence aux autres. Prophétiser ou interpréter, c’est, à l’exemple des prophètes qu’on appelle voyants, c’est-à-dire intelligents, comprendre ce que l’on dit et en donner l’explication. Celui-là prie ou chante de cœur seulement, qui forme des mots, et en profère le bruit sans y appliquer son intelligence. Ainsi, lorsque c’est la bouche qui prie en nous, c’est-à-dire lorsque nous nous bornons à articuler des sons par le souffle de la prononciation, sans que le cœur conçoive ce qu’émettent les lèvres, notre âme n’en reçoit pas l’im- pression nécessaire pour que la prière nous élève, ’par l’intelligence des paroles émises, à l’amour de Dieu. C’est pour cette raison que l’Apôtre nous recommande de nous attacher à ce que nous disons, eu sorte que nous ne sachions pas seulement proférer des mots, comme beaucoup d’autres, mais que nous en ayons pleinement l’intelligence ; autrement, il le déclare, prière et chant seraient sans profit. Saint Benoit était aussi de cet avis : « Appli- quons-nous à chanter, dit-il, de façon que votre âme soit en harmonie avec votre voix. » C’est aussi le précepte du Psalmiste : c Chantez avec intelli- gence. » Il veut qu’à l’expression des mots l’assaisonnement de l’intelligence, qui donne le goût, ne manque pas, et que nous puissions en toute sincérité dire au Seigneur : « Que vos paroles sont douces à mon gosier ! » Et ail- leurs : « Ce n’est pas avec des flûtes que l’homme se rendra agréable à Dieu, » La flûte, en effet, émet des sons qui charment les sens, mais qui ne pénètrent pas dans l’intelligence ; aussi dit-on que ceux-là jouent bien de la flûte, mais ne sont pas agréables au Seigneur, qui se plaisent à produire des sons mélodieux, sans que l’intelligence en soit édifiée. Et comment, dit l’A- pôtre, commenta la bénédiction, dans les cérémonies de l’église, répondra- ton amen, si la formule de la bénédiction n’est pas comprise, si l’on ne sait si ce que demande la prière est bon ou non ? Ainsi voyons-nous souvent dans les églises des gens simples et ignorants faire, faute de savoir, des prières qui leur sont plus nuisibles qu’utiles. Quand* on dit par exemple : Ut sic transeamus per bona temporalia, ut non amittamus œterna, etc., il en est que l’affinité des mots presque semblables induit en erreur, et qui disent : Ut nos amittamus œterna, ou encore : Ut non admittamus œterna. C’est ce danger que l’Apôtre veut prévenir, quand il dit : i Au surplus) si vous bé- nissez en esprit, » c’est-à-dire si vous vous bornez à émettre des lèvres les mots de la bénédiction, sans prendre la peine d’en faire arriver le sens à