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Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres II.djvu/156

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LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARACLET. 303

noncer des vers grecs. Qu’elle se remette ensuite immédiatement à la langue latine. Si sa bouche ne se forme pas, tandis qu’elle est encore tendre, la pratique d’un idiome qui n’est pas le sien gâtera sa prononciation, et les défauts d’une langue étrangère vicieront chez elle la langue nationale. A li place des pierres précieuses et des étoffes de soie, qu’elle recher- che les livres divins, et qu’elle trouve son charme non dans les dorures et les bigarrures des étoffes orientales, mais dans l’éclat pur et solide d’une instruction qui fortifie sa foi. Qu’elle apprenne d’abord le Psautier, qu’elle se plaise à en répéter les chants. Qu’elle se forme à la vie dans les Pro- verbes de Salomon. Qu’elle prenne dans YEccleswste l’habitude de fouler aux pieds tout ce qui est du monde. Qu’elle cherche dans le Livre de Job des exemples de courage et de patience. Qu’elle passe ensuite a l’Évangile, pour ne jamais plus le quitter. Qu’elle se pénètre de toutes les forces de son âme des Actes des Apôtres et des Épîtres. Et lorsqu’elle aura rempli de ces richesses le trésor de son cœur, qu’elle confie à sa mémoire les Pro- pliètes, Yllejrtateuque, le Livre des Rois, les Paralipomènes, les livres d’Esdras et d’Esther. Alors elle pourra apprendre sans péril le Cantique des cantiques : si elle commençait par là, on pourrait craindre que, ne saisissant pas sous les mots charnels le sens du mariage spirituel, son âme ne fût blessée.

« Qu’elle se garde de tous les apocryphes ; et si par hasard elle veut les lire, non au point de vue de la vérité des dogmes, mais en vue du respect des signes, qu’elle sache qu’ils ne sont pas de la main des auteurs dont ils portent les noms, que le mélange du mauvais y est considérable, et qu’il faut beaucoup d’expérience pour trouver l’or dans la boue. Qu’elle ait toujours entre les mains les œuvres de Cyprien. Qu’elle parcoure d’un pas léger les épîtres d’Àthanase et les livres d’Hilaire. Qu’elle se laisse séduire aux charmes de leurs traités, de leur génie : il n’y a pas à craindre que dans ces livres la piété reçoive la moindre atteinte. Qu’elle lise les autres, mais en les jugeant et non les yeux fermés, i

« Vous allez dire : « Mais comment moi, femme du siècle, pourrais-je garder tous ces trésors, au milieu de la foule de Rome ? • Je répondrai : ne chargez point vos épaules d’un fardeau qu’elles ne sauraient porter ; mais quand vous l’aurez nourrie du lait d’Isaac, vêtue de la robe de Sa- muel, envoyez-la à son aïeule, à sa tante. Rendez au lit de Marie ce bijou précieux ; couchez-la dans le berceau de Jésus. Qu’elle soit élevée dans un couvent. Au milieu des chants des vierges, elle apprendra à ne pas jurer, à regarder le mensonge comme un sacrilège, à ignorer le siècle, à vivre de la vie des anges, à être dans la chair comme sans chair, à considérer les hom- mes comme semblables à elle. Et satis parler des autres avantages, vous serez ainsi affranchie des difficultés de la conserver, du péril de la garder. Mieux vaut pour vous avoir à pleurer son absence qu’à tout craindre. Con- tiez-la toute jeune à Eustochie. Que ce soit Eustochie qu’elle admire dès son