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LETTRE D’ABÉLARD AUX VIERGES DU PARACLET.

la mère, incapable de mener une telle éducation au milieu des embarras du siècle et de la foule de Rome, il lui donne le conseil de se décharger de ce fardeau, de placer sa fille dans un couvent de vierges, où elle pourra être élevée sans péril et plus profondément instruite dans toutes les matières qu’il a indiquées. Prévenant enfin toutes les objections, toutes les inquiétudes sur le choix du maître tel qu’il en a tracé le portrait, il l’engage à envoyer l’enfant de Rome à Jérusalem, auprès de son aïeule sainte Paule et de sa tante Eustochie, et il s’offre lui-même comme maître et comme père nourricier. Oui, chose étonnante, il se laisse emporter à toutes les promesses. Ce grand docteur de l’Église, affaissé par l’âge, est prêt à se faire le père nourricier de l’enfant, il ne rougira pas de la porter dans ses bras. Tendresse qui ne manquerait pas d’éveiller les soupçons de la malveillance et ne pourrait se produire sans scandale même chez les religieux. Tout cela cependant, cet homme plein de l’esprit de Dieu et dont la vertu était depuis si longtemps connue de tous, s’y expose pour l’instruction d’une seule vierge, afin de la laisser elle-même comme maîtresse aux autres, et que celui qui n’aurait pas lu Jérôme lût Jérôme en elle.

Pour passer des vierges plus jeunes aux plus âgées, qu’il excite sans cesse à l’étude des lettres, tant en leur adressant des conseils qu’en les louant de leur zèle à lire et à apprendre, écoutons ce qu’il écrit à la jeune Principia au sujet du psaume quarante-quatrième : « Je sais, dit-il, Principia, ma fille en Jésus-Christ, qu’on me blâme généralement d’écrire à des femmes, et de préférer aux hommes le sexe faible. Je dois donc commencer par répondre à cette critique ; j’arriverai ensuite â la question que vous me posez. Si les hommes s’occupaient des saintes Écritures, je ne m’adresserais pas aux femmes. Si Darach avait voulu marcher au combat, Del ora n’aurait pas eu à triompher de l’ennemi vaincu. » Et quelques lignes plus bas : c Apollon, un apôtre, très-instruit dans ia loi, reçut des leçons d’Aquila et de Priscilla, qui l’instruisaient dans la voie du Seigneur. S’il n’y a pas eu de honte pour un apôtre à recevoir des leçons d’une femme, quelle honte y aurait-il pour moi, après avoir instruit des hommes, à instruire aussi des femmes ? Voici les raisonnements que j’ai cru devoir résumer, ô ma vénérable fille, pour que vous sachiez bien que vous n’avez pas à regretter d’être de votre sexe, et pour que les hommes ne soient pas si fiers de leur titre, eux à la honte desquels les saintes Écritures exaltent la vie des femmes. »

Après avoir parlé des vierges, je veux examiner aussi ce que les veuves ont à gagner à l’étude des saintes lettres, au glorieux témoignage du même maître. Écrivant à la même Principia touchant la vie de sainte Marcelle qu’elle lui avait demandée, voici ce qu’il signale entre ses mérites insignes. « Son ardeur pour les Écritures était merveilleuse, et elle chantait incessant-