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LETTRES D’ABEURD ET D’HÉLOlSE.

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Mais, pour vous faire connaître la vertu de votre sexe sur ce point, qui pourrait suffire à louer, comme elle le mérite, cette vierge qui se refusa à la visite de saint Martin lui-même, pour ne pas interrompre sa contempla- tion ? Saint Jérôme dit, à ce sujet, dans sa lettre au moine Oceanus : « Dans la vie de saint Martin, écrite par Sulpice, nous lisons que ce saint désirant saluer au passage une vierge renommée pour sa conduite et sa chasteté, elle ne le voulut pas ; mais qu’elle se borna à lui envoyer un petit présent, et que, regardant par la fenêtre, elle dit au saint homme : mon père, priez là où vous êtes, je n’ai jamais reçu la visite d’aucun homme. A ces mots, saint Martin rendit grâces au ciel de ce que, grâce à de telles mœurs, elle avait conservé sa chasteté. Puis il la bénit et se retira pl ?in de joie. » Cette femme, qui dédaignait ou qui craignait de quitter le lit de sa contemplation, était vraiment prête à répondre à un ami frappant à sa porte : « J’ai lavé mes pieds, puis-je les salir ? »

Si les évéques ou les prélats de noire siècle eussent subi de la part d’Ar- sène ou de cette vierge un tel refus, de quelle injure ne se seraient-ils pas crus atteints ?Qu’ils rougissent de tels exemples les moines, s’il s’en trouve encore dans le dés >rt, qui se réjouissent de la visite des évéques, qui bâtissent des maisons pour les y recevoir, qui non seulement ne fuient pas la visite des puissants du siècle que suit la foule, ou autour desquels la foule afflue, mais qui les appellent ; qui, sous prétexte des devoirs de l’hospitalité, multiplient autour d’eux les demeures, et, dans la solitude qu’ils ont cherchée, créent une cité.

C’est assurément par une machination du rusé tentateur, notre premier ennemi, que presque tous les anciens monastères, qui avaient d’abord été bâtis dans la solitude pour éviter le commerce des hommes, ont plus tard, par suite du refroidissement du zèle religieux, reçu des hommes, recueilli des troupeaux de serviteurs et de servantes, vu s’élever de grandes villes sur des emplacements choisis pour la retraite, et sont revenus au siècle, ou, pour mieux dire, ont attiré le siècle à eux. En se jetant dans les embarras de mille misères, eu se liant servilement à la domination des puissances spi- rituelles et temporelles, les moines, dans leur désir de mener une vie oisive et de vivre du produit du travail d’autrui, les moines, c’est-à-dire les soli- taires, ont perdu à la fois leur nom et leur caractère. Et tels sont souvent les ennuis qui les assiègent, que, tandis qu’ils cherchent à défendre les biens de ceux qui relèvent d’eux, ils perdent leurs propres biens. Plus d’une fois même leurs monastères ont péri dans le feu de l’incendie qui dévorait les maisons voisines, sans que ce châtiment du ciel ait même mis un fiein à leur ambition.

Ceux qui, ne pouvant supporter à aucun degré l’assujettissement de la vie monastique, se répandent par groupes de deux ou de trois, ou seuls, dans les villages, les bourgs, les villes, pour vivre sans être soumis à aucune règle, sont inférieurs aux séculiers, par cela seul qu’ils sont infidèles à leur institut.

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