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LETTRES D’ABÉLÀRD ET D’HÉLOlSE.

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Par un abus des mots et des choses, ils appellent obédiences les maisons qu’ils habitent et où Ton n’est astreint à aucune règle, où Ton n’obéit qu’aux appétits de la chair, où, demeurant avec ses proches et ses amis, ou fait ce que l’on veut d’autant plus librement qu’on a moins à craindre de sa conscience. El, certes, il n’est pas douteux que ce qui, chez les au- tres, serait faute vénielle, devient chez ces apostats éhontés un excès crimi- nel. Évitez, je ne dis pas seulement de suivre de tels modèles, mais même de les connaître.

La solitude est d’autant plus utile à la faiblesse de votre sexe, qu’on y est moins exposé aux assauts des tentations de la chair, et que les sens y ont moins de chances de s’égarer vers les choses de la matière. « Celui qui vit dans le repos et la solitude, dit saint Antoine, est soustrait à trois sortes de combats : celui de l’ouïe, celui de la parole et celui de la vue ; il n’en a plus qu’un à soutenir, celui du cœur. » Le grand docteur de l’Église, saint Jé- rôme, considérant ces avaulages et tous ceux qu’offre encore le désert, exhortait vivement le moine Iléliodore à se les assurer. « 0 solitude qui jouis du commerce de Dieu, disait-il ! Que faites-vous dans le monde, mon frère, vous qui êtes au-dessus du monde ? »

V. Maintenant que nous avons traité des lieux où doivent être construits les monastères, montrons quelle doit être leur position. En bâtissant un monastère, il faut, comme saint Benoit l’a prévu, que dans l’intérieur se trouve, autant qu’il est possible, tout ce qui est nécessaire à la vie des mo- nastères, c’est-à-dire un jardin, de l’eau, un moulin, une bluteiïe et un four, et des endroits où les sœurs puissent accomplir leur ménage quotidieu afin d’éviter toute occasion de sortie.

VI. Ainsi que dans les camps des armées du siècle, dans les camps des armées du Seigneur, c’est-à-dire dans les communautés monastiques, il faut qu’il y ait des chefs qui commandent aux autres. Dans les armées du siècle, un seul général commande & tous ; tout se fait sur un signe de sa volonté. Il distribue à chacun sa tâohe, en raison de la quantité des troupes et de la diversité des services ; il en prépose quelques-uns à des commande- ments soumis à sa souveraineté, avec charge de diriger les différents corps et de surveiller les services. Il faut qu’il en soit de même dans les monastères ; c’est-à- dire qu’une seule supérieure ait l’autorité suprême ; que toutes les autres fas- sent tout par sentiment d’obéissanceet sur un ordre de sa volonté ; que nulle ne se mette en tête de lui résister en quoi que ce soit, ni même de murmurer con- tre ses commandements ; car il n’est pas de communauté humaine, pas de fa- mille, si peu nombreuse qu’elle soit, qui puisse se soutenir et durer, si l’u- nité n’y règne, si la direction suprême ne repose entre les mains d’un seul. Aussi l’Arche, qui représente la figure de l’Église, finissait-elle par une lar- geur d’une seule coudée, bien qu’elle en eût plusieurs tant en long qu’en large. Et il est écrit dans les Proverbes : « les princes se sont multipliés à