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QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 471

ne prescrit pas d’aimer son ennemi, mais seulement son ami. Elle n’enseigne pas que l’intention suffît à la consommation du péché ; elle interdit les actes plutôt que les intentions. Elle défend la convoitise sans doute, mais elle n’établit pas qu’on est coupable pour s’y livrer ; ce qu’elle défeud surtout de convoiter, ce sont les biens de celui qu’elle appelle à la lettre le prochain, c’est-à-dire de celui qui est du peuple, non de l’étranger. La loi, en effet, prise à la lettre, ne considère pas tout homme comme prochain. Elle dis- tingue manifestement l’étranger du prochain, quand elle dit que le Juif ne doit jamais prêter à usure à son prochain, mais seulement à l’étranger.

SEIZIÈME QUESTION D’hÉLOÏSB.

Comment établit-il la supériorité de l’Évangile sur l’imperfection de la Loi, quand il dit : t Si votre justice ne vaut pas mieux que celle des scribes ou des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ? » En d’autres termes, pourquoi, selon la parole de l’Apôtre : • la Loi n’a rien mené à la perfection, » rejette-t-il le commandement antérieur, à cause de son insuffisance et de son inefficacité ?

Quant au riche qui lui demande comment il pourrait gagner la vie éternelle, le Seigneur répond, après avoir cité les deux commandements d’amour qui sont dans la Loi : « Fais cela et tu vivras ; » quand l’Apôtre dit : f Celui qui aime son prochain accomplit la Loi ; car tu ne forniqueras pas, tu ne tueras pas, etc.. » et ailleurs : c L’amour du prochain n’engen- dre pas le mal ; le plein accomplissement de la Loi, c’est donc l’amour, » comment peut-il manquer quelque chose à la perfection de la Loi, alors que ces deux commandements de l’amour de Dieu et du prochain paraissent suffire sans autre complément de perfection ?

Réponte d’Abélard.

Quand le Seigneur dit : « Si votre justice n’est pas supérieure à celle des scribes et des pharisiens, » il faut entendre la justice ; il ne dit pas : la jus- tice de la Loi. Ce passage qui suit : « Tu as entendu la parole des anciens ; tu chériras ton ami et tu auras ton ennemi en haine, » ne se trouve nulle part dans la Loi, mais dans les traditions des scribes et des pharisiens ajou- tées à la loi, traditions dont le Seigneur dit : t Vous ave* détruit les com- mandements de Dieu par vos traditions. » Remarquons, en eliet, que la Loi dit, au sujet de l’amour qu’on doit avoir pour ses ennemis et même des ser- vices qu’on doit leur rendre : « Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi, ramène-le à l’étable ; si tu vois l’âne de celui que tu hais tomber sous le fardeau, tu ne passeras pas outre, mais tu l’aideras à le relever ; • et dans le Psalmiste : t Si je rends le mal pour le mal, je succomberai justement sou» les coups de mes ennemis, abandonné de tout appui ; » et Salomon, dans les Proverbes : i Ne dis pas, je rendrai le mal pour le mal ; attends le