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QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 487

les idoles, mangent les chairs consacrées aux idoles, et leur conscience en est atteinte et souillée. » Comment donc le Seigneur dit-il que ce qui souille l’homme ce n’est pas ce qui entre dans sa bouche, mais ce qui en sort ?

Réponse d’Abélard.

Ce passage est un de ceux où le Seigneur définit le mieux ce qu’il faut entendre par péché, et les reproches qu’il adresse aux Juifs sont pour nous une lumière. Les Juifs, en effet, plus attentifs aux œuvres qu’aux sen- timents, distinguent le bien du mal, plutôt par les actes que par les inten- tions. Or, le Seigneur, qui ramène tout aux intentions, déclare que l’homme doit être condamné plutôt d’après ce qui est dans son âme, que d’après ce qui se montre dans ses actes. L’âme, à ses yeux, ne peut être souillée que par ce qui est en elle, par ce qui la touche, en sorte qu’au regard de Dieu il y a des taches spirituel les pour les âmes, comme il y a des souillures corporelles pour les corps. Conséqueniment ce qu’il dit : «Ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme, » signifie : ce qui sort de la bouche sort de l’âme, et voilà ce qui souille l’homme. De l’âme, en effet, sortent les pen- sées mauvaises, les homicides, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes ; « et voilà ce qui souille l’homme ; mais de manger sans s’être lavé les mains, cela ne souille pas l’homme. » En d’autres termes clairs : les souillures corporelles des mains ne touchent pas l’âme, elles ne peuvent lui imprimer la tache du péché. Les pensées qui souillent sortent de l’âme puisque, pour mettre à exécution une pensée, il faut le consentement de l’âme. Or, où il n’y a pas intelligence, il ne peut y avoir consentement. Ainsi est il des enfants et des idiots : lorsqu’ils ne font pas ce qu’ils doivent, on ne peut leur imputer aucun péché. Le Seigneur n’appelle donc homicide, adultère ou péché quelconque que ce qui sort de l’âme, c’est-à-dire que ce que nous connaissons comme illicite, et ce à quoi nous nous portons d’un plein consentement. Les pensées sortent de l’âme, lorsque par le consentement elles vont à l’action. Ainsi nous apprend-il que l’homicide, l’adultère et les autres péchés sortent de l’âme, et qu’ils ne sont péchés qu’après avoir été dans l’âme par le consentement, avant de se témoigner dans l’acte. En effet, quand on consent à faire ce qu’on sait ne devoir pas faire, le consentement est proprement le péché, et par cela seul on est, aux yeux de Dieu, homicide et adultère. Aussi la Vérité dit-elle : « Celui qui voit une femme et la désire, » c’est-à-dire, celui qui, en voyant une femme, vient à la désirer et s’abandonne à ce désir, celui-là est, par cela seul, adultère dans son âme ; c’est-à-dire celui-là a accompli le péché dans son âme, bien qu’il ne l’ait pas effectivement consommé. Quand donc nous prenons à tort quelque chose pour le manger, sachant que c’est un aliment défendu, ce n’est pas cet aliment qui souille