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QUESTIONS D’HÉLOÏSE ET REPONSES D’ABÉURD. 511

Seigneur n’en a suivi qu’une seule à l’égard de Pierre ? Que signifie ce que dit saint Marc : « Aujourd’hui, pendaut cette nuit ? » Il n’y a point de nuit dans le jour. Et pourquoi ’dit-il du chaut du coq « deux fois, » ce dont les autres ne parlent pas ?

Réponse d’Abelard.

C’est la coutume de l’Écriture d’embrasser, dans le mot de jour, le jour et la nuit. C’est ainsi que nous disons nous-mêmes, que tel a vécu ou est demeuré ainsi pendant tant d’années et tant de jours, ou qu’il a été là pen- dant tant de jours. Lors donc que saint Marc dit : « Aujourd’hui, » il embrasse le nuit et le jour. En ajoutant : « Pendant cette nuit, » il veut marquer non le temps même de la nuit, mais le moment à \enir de la nuit prochaine.

Quant a la diversité des versions au sujet du chant ilu coq, il faut suppo- ser que le Seigneur a d’abord dit à Pierre avec mesure, suivant le témoi- gnage de saint Marc : « Avant que le coq ait chanté deux fois ; » puis Pierre protcslaut de sa fidélité, il aura ajouté qu’il le ferait, même avant que le coq eût chanté. En effet, l’idée de saint Marc est de rappeler que le Seigneur voulut rabattre, comme en se jouant, la confiance parfois trop grande de Pierre, losqu’il écrit : « Pierre dit : « Quand tous seraient scandalisés, je ne le serai pas, moi. Et Jésus lui dit : Je vous le dis, en vérité, aujour- d’hui, et cette « nuit avant que le coq ait chanté deux fois, vous me renierez. Et celui-ci continua : Fallut-il mourir avec vous, je ne vous renierai pas. » Il avait commencé par dire qu’il ne serait pas scandalisé ; il va plus loin : il ajoute qu’il est prêt à mourir plutôt que de renier. C’est à cette présomption excessive que le Seigneur parait, non sans raison, avoir répondu eu ajoutant qu’avant que le coq chantât, il l’aurait renié trois fois.

Ce qui fait surtout question, c’est que saint Marc présente les reniements de Pierre et le chant du coq dans un ordre tel que c’est après le premier reniement que le coq chante la première fois, et après les deux autres, la seconde : ce qui semble ébranler ce point que, d’après le récit des autres Évangélistes, Pierre renierait trois fois, avant que le coq chantât. Mais peut- être faut-il sous-entendrc dans leur récit, le mot « deux fois » que saint Marc, en l’écrivant, indique comme ayant été dit, et comme sous-cnlcndu. En effet, lorsqu’une chose est plus exactement déterminée eu un endroit qu’eu un autre, il faut sous-entendre celte détermination là où elle ne se trouve pas, pour ne point se laisser entraîner dans un sens inexact. C’est une rè^lc connue même d( s infidèles. Quand nous opposons aux Juifs ce mot : « Tu ne prêteras pas à usure, » comme s’ils ne devaient pas nous prêter à nous- mêmes, ils répondent qu’il faut sous-enteudre : « à ton prochain, » ce que la Loi détermine ailleurs expressément. De même, quand la Vérité évangé- lique dit : a Celui qui ne sera pas régénéré par l’eau et par l’Esprit-Saint u’entrera pas dans le royaume de Dieu, » il faut sous-enteudre : et sanctifié