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QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES DABÉLARD. 510

pas cherché le mariage, si les enfants avaient pu venir d’une autre façon. Los hommes avaient même la faculté d’entretenir commerce avec plusieurs femmes. C’est ainsi que Ruth ne trouvant plus dans son époux mort le moyen de propager la race d’Israël, selon les obligations du temps, chercha un autre époux. Cette malédiction de la Loi rappelée par le saint docteur, cette tache d’infamie imprimée aux fidèles, avait pour principe la préoccu- pation de la conservation du peuple, préoccupation telle que les frères plus jeunes poussaient leurs femmes à donner des enfants à leurs frères aines, même alors qu’ils en avaient eus par leurs propres femmes, et à concevoir, en quelque sorte, pour celles qui étaient mortes, non pour elles, afin d’af- franchir de la malédiction de la Loi ceux qui, en réalité, avaient déjà une postérité. Le Seigneur lui-même avait établi comme récompense pour les observateurs de la Loi, que rien chez eux ne demeurerait stérile, ni hom- mes, ni troupeaux. C’est ainsi qu’il est écrit dans le Deutéronome : « Si, après avoir entendu ces prescriptions, tu les observes fidèlement, le Sei- gneur te protégera et te chérira ; il multipliera ta race, il bénira le fruit de tes entrailles, les taureaux de tes pâturages, les brebis de tes troupeaux ; tu seras béni entre tous les peuples. » Aussi voyons-nous que, parmi les saints Pères, aucun ne fut privé de postérité, bien qu’ils eussent des épou- ses stériles. C’est qu’ils les avaient épousées pour propager la race du peu- ple de Dieu, non pour se livrer au plaisir du commerce de la chair ; c’était non pour eux, mais pour Dieu qu’ils avaient des enfants.

Tel est le sens de ce passage de Tobie : « Et maintenant, Seigneur, tu le sais, ce n’est pas dans une intention de luxure que je reçois ma sœur, je n’ai en vue que la postérité par laquelle ton nom sera béni dans les siècles des siècles. » C’est dans cette intention qu’Abraham se maria et mérita d’a- voir des enfants d’une femme stérile. Ainsi encore Isaac, Manué père de Samson, Elcana, Zacharias, eurent, les derniers d’Anne et d’Elisabeth, la lignée qu’ils souhaitaient, pour ne point encourir la malédiction de la Loi et l’opprobre attaché à la stérilité. Matrimonium fut le nom donné, dans la suite, au mariage, parce que c’était le point de départ pour faire la mère de famille (mater famUias). C’est en considérant cette malédiction de la Loi que la fille de Jephté pleurait sa virginité : mourant vierge, elle ne devait pas laisser de postérité en Israël. Enfui Elisabeth triomphait d’être sauvée de cet opprobre, quand elle disait : « Voilà ce que Dieu a fait pour moi dans le temps où il a daigné me préserver de l’opprobre parmi les hommes. »

Fidèle à tous ces souvenirs, le docteur que j’ai cité recommande le com- merce des époux qui a pour objet moins d’engendrer des enfants que de les régénérer dans le Christ, à ce point qu’il déclare exempt du péché le com- merce qui a lieu dans cetto vue plutôt que pour éviter la fornication, et ce- pendant la fornication est la seule cause pour laquelle il nous exhorte à la continence. « Vous m’avez écrit, dit-il, que le bien pour l’homme, c’est de ne point avoir commerce avec la femme ; mais qu’à cause de la fornica-