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APPENDICE.

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rieuse résurrection, et sous l’étroite enceinte de la prison déjà corporelle- ment ensevelies dans le sépulcre de l’immortelle espérance. 11 est vrai que toutes ces grâces, et de plus grandes sans doute, vous sont départies par le ciel, à vous et à vos compagnes, et il serait difficile assurément de rien ajouter à votre zèle pour toutes les perfections chrétiennes. Mais noire communauté se fût assurément enrichie par l’accession des grâces pré- cieuses que vous possédez.

Toutefois, si la Providence divine, dispensatrice de toutes choses, nous a refusé les avantages de votre propre présence, elle nous a du moins ac- cordé celle de l’homme qui vous appartient, du grand homme qu’il ne faut pas craindre d’appeler avec respect le serviteur et le véritable philosophe du Christ, de maître Pierre. La même Providence divine a bien voulu nous Peiivoyer à Cluni dans les dernières années de sa vie ; et nous pouvons dire qu’elle nous a fait, en sa personne, un don plus précieux que l’or et les perles.

Sur la vie édifiante, pleine d’humilité et de dévotion qu’il a menée parmi nous, il n’est à Cluni personne qui ne puisse rendre témoignage, et on ne saurait la dépeindre en peu de mots. Je ne crois pas avoir jamais vu son pareil pour l’humilité dans la démarche et la tenue ; à ce point qu’aux yeux les plus alteutifs saint Germain n’aurait pu paraître plus négligé, ni saint Martin lui-même plus pauvre. Dans ce grand troupeau de nos frères, où je l’invitais à prendre la première place, il semblait toujours, par la mi tore de son vêtement, occuper la dernière. Je m’étonnais souvent, j’étais presque stupéfait de voir dans les processions, lorsqu’il marchait devant moi avec les autres frères suivant l’ordre cérémonial, de voir, dis-je, un homme d’un nom si grand et si fameux s’humilier et s’abaisser à ce point. 11 est des professeurs de religion qui, même dans l’habit qu’ils portent, re- cherchent l’éclat du luxe ; pour lui, modeste dans son costume, il se con- tentait de la robe la plus simple,, et ne cherchait rien au delà du nécessaire. Ainsi faisait-il pour le manger, pour le boire, pour tous les soins du corps ; tout ce qui est suj>erflu, tout ce qui n’est pas absolument indispen- sable, il le condamnait par sa parole et par son exemple, pour lui-même comme pour les autre-. Sa lecture était incessante, sa prière assidue, sou silence persistant, à moins de questions familières de la part des frères ou de conférences générales sur les choses divines qui le forçassent de parler. 11 s’approchait des sacrements, offrant à Dieu le sacrifice de l’Agneau im- mortel, aussi souvent qu’il le pouvait, que dis-je ? presque sans interrup- tion, depuis que, par ma lettre et mon entremise, il était rentré en grâce auprès du saint-siége. Qu’ajouterai-je de plus ? son esprit, sa bouche, ses actes, étaient voués incessamment à la méditation, à l’enseignement, à la manifestation des choses divines, philosophiques et savantes.

Ainsi vécut parmi nous cet homme simple et droit, craignant Dieu et se détournant du mal ; ainsi vécut-il, dis-je, consacrant à Dieu les derniers