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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÈLOlSE.

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doqs en garde contre lui, il deviendra le meurtrier de notre âme. C’est contre ce danger qu’est donné le conseil exprimé dans cette conclusion : « Gourez de tous côtés, hâtez-vous… » Il faut donc, à l’exemple d’un géné- ral prévoyant et infatigable, nous porter sans cesse çà et là, faire la ronde autour du camp, avoir l’œil partout, de peur que, par quelque négligence, l’accès du camp ne soit ouvert à celui qui, semblable au lion, rôde tout au- tour, cherchant qui il dévorera. Il faut qu’une prieure connaisse avant tout le monde les maux de sa maison, afin d’y porter remède avant que les autres en soient instruits et que les exemples les entraînent. Qu’elle prenne garde d’encourir le reproche que saint Jérôme fait aux imprévoyants et aux paresseux : « D’ordinaire nous sommes toujours instruits les derniers de ce qui se passe de mal dans notre maison, et nous ignorons les défauts de nos femmes et de nos enfants, quand déjà les autres les chantent. » Qu’une su- périeure ait donc toujours l’œil sur sa communauté ; qu’elle sache qu’elle a sous sa garde et des corps et des âmes.

La garde des corps lui est recommandée par ces paroles de l’Ecclésia ste : i Vous avez des filles, conservez leur corps, et ne leur montrez pas un vi- sage trop gai ; » et ailleurs : <t La fille du père est cachée ; sa vigilance et sa tendresse lui ôtent le sommeil, car il craint que sa fille ne soit souillée. » En effet, nous souillons nos corps, non-seulement par le commerce de la chair, mais par tout ce que nous commettons de contraire à la décence, tant par la langue que par tout autre partie dont nous abusons pour quelque satisfaction de vanité, ainsi qu’il est écrit : « La mort entre par nos fenê- tres, » c’est-à-dire le péché trouve accès dans notre âme par les cinq sens. Et est-il une mort plus terrible, est-il une garde plus dangereuse que celle des âmes ? g Ne craignez pas, dit la Yérité, ceux qui tuent le corps et qui n’ont aucun pouvoir sur l’âme. » D’après ce conseil, qui ne craindra la mort du corps plus que celle de l’âme ? Qui ne se gardera du glaive plus que du mensonge ? Et cependant, il est écrit ; « La bouche qui ment tue l’âme. •

En effet, quoi de plus facile à faire périr que l’âme ? Quelle flèche peut être fabriquée aussi vite que le péché ? Qui est seulement capable de se ga- rantir de sa pensée ? E»t-il quelqu’un qui soit de force à prévenir ses pro- pres péchés, bien loin de prévenir ceux d’autrui ? Quel pasteur temporel pourrait garder contre des loups spirituels des brebis spirituelles, un trou- peau invisible contre un ennemi invisible ? Peut-on ne pas craindre un ra- visseur qui ne cesse de rôder, qu’aucun retranchement ne saurait éloi- gner , aucune épée tuer ni même atteindre, qui est toujours là tendant ses pièges, et qui s’attache surtout à persécuter les religieux, suivant la parole d’Habacuc : i ses viandes sont choisies ? » Aussi l’apôtre saint Pierre nous exhorte-t-il à nous lieu défendre. « Votre ennemi, dit-il, c’est le démon qui, comme un lion rugissant, rôde cherchant celui qu’il dévo- rera. » Quelle ferme espérance il a de nous dévorer, le Seigneur lui-même l’a appris au saint homme Job. o II engloutira un fleuve, dit-il, et il n’en