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Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres II.djvu/4

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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE.

ainsi : la première, c’est que ce grand artiste, ainsi que le rappelle le même maître, avait une habileté merveilleuse à peindre les femmes ; la seconde, c’est que les formes de la jeune fille sont naturellement plus élégantes et plus fines que celles de l’homme. S’il choisit plusieurs vierges, dit le philosophe cité, c’est qu’il ne crut point qu’une seule put lui offrir l’ensemble de toutes les perfections : il savait qu’aucune femme n’est assez favorisée de la nature pour posséder une égale beauté dans toutes les parties de son corps, la nature ne voulant elle-même produire rien d’absolument parfait en ce genre, comme si, en épuisant tous les dons sur un seul sujet, elle craignait de n’avoir plus rien à donner aux autres.

Ainsi, pour peindre la beauté de l’âme et tracer de la perfection de l’épouse du Christ une image qui soit comme un miroir que vous ayez sans cesse devant les yeux et où vous puissiez juger de votre beauté ou de votre laideur, je tirerai la règle que vous me demandez des divers enseignements des saints Pères et des meilleures coutumes des monastères ; je prendrai la fleur de chaque chose au fur et à mesure qu’elle s’offrira à ma mémoire, et je réunirai comme en un faisceau tout ce qui me paraîtra le mieux convenir à la sainteté de votre ordre. Et ce n’est pas seulement aux usages des religieuses, c’est aussi à ceux des religieux que j’emprunterai mes règles ; car, ayant et même nom et mêmes vœux de continence, la plupart de nos pratiques vous conviennent comme à nous. Ainsi que je l’ai dit, ce seront comme autant de fleurs que j’assortirai aux lis de votre chasteté. Combien, en effet, ne devons-nous pas mettre plus de zèle à peindre la vierge du Christ, que n’en mit Zeuxis à peindre le portrait d’une idole ! Il a pensé, lui, que cinq vierges lui suffiraient comme modèles : pour nous, grâce à la mine si riche d’enseignements que nous offrent les écrits des saints Pères, grâce à l’appui de la grâce divine, nous ne désespérons pas de laisser une œuvre plus parfaite, et qui nous permette d’égaler l’excellence des cinq vierges sages que le Seigneur, dans son Évangile, nous propose comme l’idéal de la sainteté virginale. Fassent vos prières que l’effet réponde à mon désir ! Salut en Jésus-Christ, épouses du Christ.

J’ai résolu de diviser en trois parties la règle de votre ordre, pour arriver, d’une part, à éclairer et à fortifier votre zèle, d’autre part, à établir l’ordre de la célébration du service divin. La vie monastique, dans son ensemble, comprend, si je ne me trompe, trois points : la chasteté, la pauvreté, le silence ; c’est-à-dire qu’elle consiste, suivant la règle évangélique, à ceindre ses reins, à renoncer à tout, à éviter les paroles inutiles.

I. La continence est la pratique de la chasteté, telle que l’Apôtre la prescrit, lorsqu’il dit : « Une vierge qui n’est pas mariée ne pense qu’aux choses de Dieu, afin d’être sainte et de corps et d’esprit. » Il dit de tout le corps et non d’une seule partie, de peur que quelque autre ne tombe dans l’impureté, soit par action, soit par paroles. D’autre part, elle est sainte