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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE.

d’esprit, quand aucune faiblesse volontaire ne souille sa pensée, quand l’orgueil ne l’enfle pas, ainsi que ces cinq vierges folles qui, étant allées chercher de l’huile, trouvèrent à leur retour les portes fermées. La porte une fois fermée, en vain elles frappèrent et crièrent : « Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous » ; leur époux lui-même leur répondit ces terribles paroles : « en vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas. »

II. En second lieu, nous nous dépouillons de tout, à l’exemple des Apôtres, pour suivre nus Jésus-Christ, qui est nu lui-même, quand nous renonçons pour lui non-seulement à tous les biens du monde, à toutes les affections de la chair, mais à toute pensée personnelle, en sorte que nous ne vivions plus à notre guise, mais suivant la direction souveraine de notre chef et de celui qui est noire chef au nom du Christ, comme nous nous soumettrions au Christ lui-même. Car il l’a dit : « celui qui vous écoute m’écoute ; celui qui vous méprise me méprise, i Et quand même, ce dont Dieu le préserve, il se conduirait mal, si ses ordres sont bons, il ne faut pas que les défauts d’un homme fassent rejeter la voix de Dieu ; il nous en avertit en ces termes : « observez et faites ce qu’ils vous diront, et ne vous réglez pas sur ce qu’ils feront. » Ailleurs encore il nous peint avec précision les sentiments qui doivent nous diriger en passant du monde à Dieu, quand il dit ! « celui qui n’aura pas renoncé à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple ; » et encore : « celui qui vient à moi et qui ne hait point son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre vie, ne peut être mon disciple. » Or, haïr son père et sa mère, c’est renoncer à toutes les affections de la chair ; de même que haïr sa propre vie, c’est renoncer à toute pensée propre. C’est ce qu’il recommande encore, quand il dit : « que celui qui veut venir après moi renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et me suive ! » Voilà comment nous approchons de lui, comment nous venons après lui, c’est-à-dire comment nous le suivons, en l’imitant autant qu’il est en nous. Lorsqu’il dit : « je suis venu pour faire non ma volonté, mais celle de mon Père qui m’a envoyé, » c’est comme s’il nous disait de faire tout par obéissance.

En effet, « renoncer à soi-même », est-ce autre chose que de sacrifier les affections de la chair et sa volonté propre pour se soumettre entièrement à la direction d’autrui ? C’est ainsi qu’on ne reçoit pas sa croix de la main d’un autre, mais qu’on la prend soi-même : je veux dire la croix par laquelle ce monde a été crucifié pour nous et nous pour le monde, et dont le sens est que, par les vœux d’un engagement volontaire, on s’interdit les pensées du monde et de la terre, ou, en d’autres termes, la direction de sa volonté. En effet, que désirent les gens attachés à la chair, sinon accomplir tout ce qu’ils veulent ? Et en quoi consistent les plaisirs de la terre, si ce n’est dans l’accomplissement de ce que l’on veut, alors même que ce que l’on veut ne saurait être acheté qu’au prix des plus grandes peines ou des plus grands dangers ? En d’autres termes, qu’est-ce que porter sa croix, c’est à-dire souf-