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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE.

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frères, dit-il, si notre cœur ne nous reproche rien, ayons confiance en Dieu, et tout ce que nous lui demanderons, nous le recevrons, si nous sommes fidèles à ses préceptes, et si nous ne faisons rien qui ne lui soit agréable. » C’est aussi avec raison que saint Paul avait dit auparavant, qu’il n’y a rien de commun, pour Jésus-Christ, si ce n’est ce qu’on croit devoir l’étrç, c’est- à-dire ce que l’on croit impur et interdit. En effet, nous appelons communs les aliments qui, selon la loi, sont appelés impurs, parce que la loi, les in- terdisant à ses fidèles, les expose, pour ainsi dire, et les met en vente pour ceux qui sont hors de la loi. De là vient que les femmes communes sont impures, et que tout ce qui est commun, tout ce qui est du domaine public, est vilou moins précieux. Saint Paul dit donc qu’il n’est point par Jésus* Christ de viande commune, c’est-à-dire impure, puisque la loi de Jésus- Christ n’en interdit aucune, si ce n’est, comme je l’ai dit, pour éviter le scan- dale de sa propre conscience et de celle d’autrui. Il dit ailleurs, à ce sujet : « C’est pourquoi, fi la viande que je mange scandalise mon frère, je n’en mangerai jamais, pour ne pas scandaliser mon frère. Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? » Soit, en d’autres termes : n’ai-je pas cette liberté que le Seigneur a dounée aux apôtres, de manger de toutes sortes -de viandes et de recevoir toute espèce d’assistance ? En effet, il dit quelque part, en envoyant ses apôtres prêcher sa doctrine : « Mangez et buvez tout ce que vous trouverez chez eux. • Il ne faisait aucune distinction entre les aliments. L’Apôtre, fidèle à cette doctrine, la maintient en disant qu’il est permis aux chrétiens de manger toute espèce d’aliments, fussent-ce même des aliments des tinésaux infidèles ou offerts aux idoles, à la seule condition, je le répète, d’éviter le scandale, i Tout est permis, dit-Tl, mais tout n’est pas bon ; tout est permis, mais tout n’édifie pas. Que personne ne cherche son bien propre, mais le bien d’autrui. Mangez de tout ce qui se vend au marché, sans scrupule. La terre et tout ce qu’elle porte dans son sein est au Seigneur. Si quelque infidèle vous invite à sa table, et qu’il vous plaise d’y aller, mangez de tout ce qu’on vous servira, sans scrupule. Si l’on vous dit : t Ceci a été offert aux idoles, » n’en mangez pas, par respect pour le scrupule de celui qui fait la distinction, par respect pour la conscience d’autrui, dis-je, non pour la vôtre : ne blessez ni les juifs, ni les gentils, ni l’Église de Dieu. » De ces paroles de l’Apôtre il ressort clairement qu’aucun aliment ne nous est interdit, si nous en pouvons manger sans blesser notre propre conscience, ni celle des autres. Nous agissons sans blesser notre propre conscience, si nous croyons de bonne foi suivre le genre de vie qui doit nous conduire au salut ; sans blesser la conscience des autres, s’ils ont la confiance que notre genre de vie doit nous sauver. Et nous vivons de cette manière, si nous satisfaisons les besoins de la nature, en évitant le péché ; si, ne présumant pas trop de notre vertu, nous ne nous chargeons pas, par nos vœux, d’un joug sous lequel nous succomberions : chute d’autant plus grave que le degré auquel nous avaient élevés nos vœux serait plus haut.

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