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LETTRES D’ABÉLARO ET D’HÊLOÏSE. 311

Seigneur enseignera-t-il sa loi ? à qui donnera-t-il l’intelligence de sa pa- role ? » Car il dit, par la bouche de Joël : « Réveillez-vous, ivrognes, et pleu- rez, vous qui buvez par plaisir. » Il ne défend pas, en effet, de boire par besoin, ainsi que l’Apôtre le conseille à Timothée, c à cause des faiblesses fréquentes de son estomac. » Remarquez toutefois qu’il ne dit pas seule- ment faiblesses, mais faiblesses fréquentes.

Noé, qui le premier planta la vigne, ignorait encore, sans doute, le mal de l’ivrognerie, et, s’étant enivré, il découvrit son corps ’ : la honte de la luxure est attachée à l’ivresse. Un de ses fils s’étant raillé de lui s’attira sa malédiction, et il fut réduit en servitude ; ce qui n’avait jamais encore été fait auparavant, que nous sachions. Les filles de Loth avaient bien prévu que ce saint homme ne pourrait être entraîné à un inceste que par l’ivresse. La bienheureuse veuve Judith savait bien qu’elle ne pouvait tromper et abattre que par ce moyen le superbe Hofopherne. Nous lisons que, lorsque les anges apparurent aux anciens patriarches, qui leur donnèrent l’hospita- lité, ils firent usage de viande, mais non de vin. Les corbeaux qui, matin et soir, portaient au grand Élie, notre chef, caché dans la solitude, du pain et de la viande pour se nourrir, ne lui portaient pas de vin.

Le peuple d’Israël, qui, dans le désert, se nourrissait de la chair si délicate des cailles, n’avait pas de vin, et nous ne lisons pas qu’il en ait même ja- mais désiré. C’est avec des pains et des poissons que Jésus-Chrit nourrit le peuple et répara ses forces dans le désert : il n’avait pas de vin. C’est seu- lement aux noces, pour lesquelles on se relâche de la règle, que fut accom- pli le miracle du vin, source de la luxure. Mais le déseit, qui est la demeure propre des moines, a connu le don de la chair plutôt que celui du vin.

C’était un point essentiel de la loi des Nazaréens, que ceux qui se consa- craient au Seigneur évitaient le vin et tout ce qui peut enivrer. Est-il, en effet, une vertu, est-il une qualité que les ivrognes puissent conserver ? Aussi lisons-nous que le vin et tout ce qui peut enivrer était interdit aux prêtres de l’ancienne loi. Voilà pourquoi saint Jérôme, écrivant à Népotien sur la conduite des clercs, s’indigne si vivement de ce que les prêtres de l’ancienne loi, s’abstenant de tout ce qui peut enivrer, étaient par là supé- rieurs à ceux de la nouvelle. « Ne sentez jamais le vin, dit-il, de peur qu’on ne vous applique ce mot du philosophe : ce n’est pas tendre la joue, c’est présenter la coupe. •

L’Apôtre condamne donc les prêtres adonnés au vin, et l’ancienne loi en interdit l’usage : c Ceux qui sont attachés au service de l’autel ne boiront jamais de vin ni de bière, dit-elle. » — Par bière, en langue hébraïque, on entend toute boisson qui peut enivrer, qu’elle soit le résultat de la fermen- tation de la levure, du jus de la pomme ou du miel cuit, qu’elle soit tirée du suc des herbes, des fruits du palmier et des fraises, qui, étendues dans l’eau ou passées au feu, donnent une liqueur douce et onctueuse. —