LETTRES D’ABÉLARD ET d’Héloïse. 315
de la femme, purifié par de fréquentes purgations, est un tissu rempli de pores qui facilitent l’écoulement, et qui offrent un passage à l’humeur qui s’amasse et cherche à sortir. C’est par ces pores que la Tapeur du vin s’éva- pore en un instant. »
Pourquoi donc tolérer chez les religieux ce qu’on refuse aux religieuses ? Quelle folie d’autoriser l’usage du vin chez ceux auxquels il peut faire le plus de mal, et de l’interdire aux autres ? Quoi de plus insensé que de ne pas inspirer à des religieux l’horreur d’une chose qui est, plus que toute autre, opposée à l’esprit de religion, et capable d’éloigner de Dieu ? Quoi de plus im- prudent de ne pas exiger de s’abstenir, pour la perfection chrétienne, de ce qui est interdit aux rois et aux prêtres de l’ancienne loi, que dis-je ? d’y lais- ser trouver les plus grandes délices ? Qui ne sait, en effet, quel soin les clercs et les moines d’aujourd’hui mettent à remplir leurs celliers de toute espèce de vins, à y mêler des plantes, du miel et d’autres ingrédients qui les eni- vrent d’autant plus aisément que le mélange est plus agréable, et qui les excitent d’autant plus à la luxure qu’ils les échauffent davantage ? Ah ! c’est plus qu’une erreur, c’est du délire, que ceux qui ont fait vœude con- tinence ne fassent rien pour observer ce vœu, que dis-je ! fassent tout pour le rompre. Leurs corps sont retenus dans les cloîtres, mais leur coeur est plein de libertinage ; leur âme brûle de toutes les ardeurs de la fornication. i Ne buvez pas encore d’eau, mais prenez un peu devin, à cause des faiblesses fréquentes de votre estomac, écrivait l’Apôtre à Timothée. » C’est à cause de sa délicatesse qu’un peu de vin lui est permis : il est clair qu’en état de santé il n’en prendrait point. Si nous faisons vœu de vivre suivant la règle apo- stolique, si nous nous engageons particulièrement à faire pénitence, si nous voulons fuir le siècle, pourquoi faire nos plus grandes délices de ce qui est essentiellement contraire à notre dessein et de ce qu’il y a de plus délec- table dans tous les aliments ? Saint Ambroise, ce grand peintre de la péni- tence, ne blâme que le vin dans la nourriture des pénitents. « Est-il croyable, dit-il, qu’on fasse pénitence, quand on a l’ambition des hon- neurs, quand on use et abuse du vin, quand on se donne les jouissances du mariage ? Il faut renoncer au siècle. Il m’a été plus facile de trouver des hommes ayant conservé leur innocence, que des hommes faisant pénitence comme il faut. » Et ailleurs, dans le livre sur la Fuite du siècle : « Vous le fuyez bien, dit-il, si vos yeux évitent les coupes et les bouteilles, de peur de prendre le goût de la luxure en s’arrétant sur le vin. » Parmi les aliments à éviter, il ne cite, dans son ouvrage, que le vin : Fuir le vin, c’est assez, il l’affirme, pour fuir le siècle. Il semble, à son sens, que toutes les voluptés du siècle soient renfermées dans le vin. Et il ne dit pas : si votre bouche évite de le goûter, mais si vos yeux évitent de le voir ; de peur qu’à force de le regar- der, les attraits de la débauche et delà volupté ne vous saisissent. C’est aussi ce que Salomon veut dire dans le passage que j’ai cité plus haut : « Ne regar- dez pas le vin et ses reflets d’or, quand son éclat resplendit dans le cristal. •