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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÈLOÏSE.

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justice, cette justice qui vient de la foi, tandis qu’Israël, en cherchant la loi de justice, n’est point parvenu i la loi de justice ? Pourquoi ? Parce que ce n’était pas par la foi, mais comme par les œuvres. » Ceux qui tiennent cette conduite ressemblent aux gens qui nettoient les dehors d’un plat ou d’un vase, mais qui ne s’occupent pas de la propreté de l’intérieur ; plus occupés de la chair que de l’âme, ils sont plus charnels que spirituels.

Pour nous, qui désirons que Jésus-Christ habite dans l’homme intérieur par la foi, nous faisons peu de cas des choses extérieures qui sont communes aux réprouvés comme aux élus, suivant ce qui est écrit : o Je porte en moi, Seigneur, tous les vœux et tous les hommages que je vous rendrai. » Aussi ne suivons-nous pas les préceptes d’abstinence extérieure de la loi, laquelle évidemment ne contribue en rien à la vertu. Le Seigneur ne nous a rien in- terdit en fait de nourriture, mais seulement la gourmandise et l’ivresse, c’est-à-dire l’excès. Ce qu’il a toléré en nous, il n’a pas rougi de l’autoriser par son propre exemple, sans s’occuper de ceux qui se scandalisaient et s’emportaient en reproches. Ce qui lui a fait dire de lui-même : « Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils ont dit : il est possédé du démon. Le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant, et ils ont dit : voilà un gour- mand, un ivrogne. » Et même pour excuser ses disciples, qui ne jeûnaient pas comme saint Jean, et qui, pour manger, ne se mettaient pas en peine de laver leurs mains, il dit : « Les fiancés du Fils de l’homme ne peuvent prendre le deuil, tandis qu’il est fiancé avec eux. » Et ailleurs : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui le souille, c’est ce qui en sort. Or, ce qui sort de la bouche vient du cœur, et voilà ce qui souille l’homme ; mais de ne point se laver les mains pour manger, cela ne souille pas l’homme. »

Ce n’est donc pas la nourriture qui souille l’àme, c’est la convoitise de la nourriture défendue. Car, ainsi que le corps ne peut être souillé que par des choses corporelles, l’àme ne peut être souillée que par des choses spirituelles. Ce qui se passe dans notre corps n’est point à craindre, si l’âme n’y a point de part, et il n’y a pas à se glorifier de la pureté du corps, lorsque l’àme est intentionnellement corrompue. C’est dans le cœur que réside tout entière la mort ou la vie de l’âme. Ce qui fait dire à Salomon, daiis ses Proverbes : a Gardez votre cœur avec toute la vigilance possible, car il est la source de la rie. » Suivant cette déclaration de la Vérité, c’est du cœur que sort ce qui souille l’homme, parce que l’àme se perd ou se sauve par ses bons ou ses mauvais désirs. Mais comme l’àme et le corps sont intime- ment unis dans la même personne, il faut bien prendre garde que le plaisir du corps n’entraine le consentement de l’àme, et que, par trop d’indulgence pour la chair, la chair, abandonnée à elle-même, n’entre en lutte avec l’es- prit, et ne domine là où elle doit obéir. Or, nous éviterons ce danger si,