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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HELOlSE.

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comme je l’ai dit, donnant satisfaction à tous les besoins du corps, nous en retranchons le superflu, et si nous accordons au sexe le plus faible l’usage de toute nourriture, ne lui en interdisant que l’abus. Qu’il soit permis de manger de tout, mais qu’il ne soit permis de manger de rien avec excès. •« Tout ce que Dieu a créé, dit l’Apôtre, est bon, et il ne faut rien rejeter de ce qui est reçu avec des actions de grâce ; car la parole de Dieu et la prière le sanctifient. En donnant cette règle à vos frères, vous vous montrerez bon ministre de Jésus-Christ, nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine à laquelle vous vous êtes attaché. »

Nous donc, suivant avec Timothée la doctrine de l’Apôtre, et, selon le précepte du Seigneur, n’évitant rien dans les aliments que la gourmandise et l’ivresse, usons de tous dans une mesure telle qu’ils servent à soutenir en nous la faiblesse de la nature, non à nourrir les vices. Portons surtout cette mesure dans l’usage de ceux qui, par leur superfluité, peuvent être les plus dangereux : il est plus grand et plus louable de manger sobrement que de jeûner tout à fait. Ce qui fait dire à saint Augustin, dans son livre du Bien du Mariage, là où il parle des aliments qui doivent soutenir le corps : « On n’use bien que des choses dont on peut se passer. Beaucoup, en effet, trou- vent plus aisé de n’en pas user du tout, que d’en régler sagement l’usage : il n’y a pas sagesse cependant là où il n’y a pas continence. » C’est de cette mesure que saint Paul disait : « Je sais supporter l’abondance et la priva- tion. » Souffrir la privation, c’est affaire à tous les hommes ; mais savoir souffrir la privation, est le trait des grands hommes. De même, il n’est per- sonne qui ne puisse commencer à vivre dans l’abondance ; mais savoir sup- porter l’abondance est le propre de ceux que l’abondance ne corrompt pas.

Quant au vin, qui, je le répète, est une source de luxure et de désordre, et qui, par là même, est aussi contraire à la continence qu’au silence, ou bien les femmes s’en abstiendront absolument pour l’amour de Dieu, comme les femmes des gentils s’en abstenaient par la crainte des adultères ; ou bien elles le tempéreront avec de l’eau, afin de pourvoir en même temps et à leur soif et à leur santé, sans qu’il puisse faire mal ; et il en sera-ainsi, si le mé- lange contient au moins un quart d’eau. Il est très-difficile de se ménager de façon à ne pas boire jusqu’à la satiété, ainsi que le recommande saint Benoit. Aussi pensons-nous qu’il est plus sur de ne pas interdire la satiété, pour ne pas nous exposer à un autre danger ; car ce n’est pas dans la satiété, je le répète, c’est dans la superfluité qu’est le mal. Quanta composer du vin avec des plantes, comme médicament, ou à prendre du vin pur, nous ne l’in- terdisons point ; mais à la condition que les malades seuls en goûtent, et que la communauté n’en use point.

Défense absolue de faire le pain avec du pur froment ; lorsqu’on aura du froment, on y devra mêler au moins un tiers de farine plus grossière. Poiot de pain tendre ; du pain qui soit cuit au moins delà veille. Quant aux autres aliments, la diaconesse y pourvoira ; c’est, comme je l’ai dit, en achetant les