Page:Abensour - Histoire générale du féminisme, 1921.djvu/112

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C’est que la conception de l’amour subit alors une transformation profonde. Quel témoignage meilleur de cette transformation que le contraste entre nos premières chansons de geste et les poèmes du cycle breton ? Ici, la femme reléguée dans l’ombre, la figure des héroïnes à peine estompée ; le héros, même s’il est Roland ou Olivier, saisissant celle qu’il aime avec une fureur sauvage, sans se préoccuper un instant de lui plaire ; et la guerre rejetant l’amour à l’arrière-plan.

Là l’amour est au contraire le grand, le seul mobile ; ce sont les orages de la passion et de la jalousie qui, dans le beau poème où vivent les sublimes figures d’Ysolde et de Tristan, seuls déchaînent la guerre. C’est pour plaire à une femme, mieux, pour la mériter, que Lancelot, que Perceval le Gallois s’en vont par le monde, bravant les périls. C’est jeu pour le vrai chevalier que de briser les obstacles qui se dressent devant son amour. Pour être digne de l’aimée, pour mériter le don précieux de son corps, le don plus précieux de son âme, il s’imposera des épreuves inutiles. Et, dans son amour, la passion s’accompagne d’un infini respect. L’amour courtois a pris naissance. Voilà, certes, l’une des plus grandes conquêtes de la femme, l’une de ses plus éclatantes victoires sur la loi de l’homme.

Ce n’est jamais entre mari et femme, bien entendu, que se développe l’amour courtois ; et l’épouse, mariée de force à un homme que souvent elle n’aime pas, se dédommage en choisissant un chevalier servant. Celui-ci ne sera pas le maître, mais bien l’esclave docile. Entre elle et lui c’est le flirt avec sa savante escrime, la casuistique amoureuse avec tous