Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/104

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verains, tirent leur autorité du principe patriarcal : la monarchie patrimoine d’une famille ; elles la gèrent comme la mère administre l’héritage de son fils mineur ou la dilapident comme une femme dilapide celui de son mari. L’autorité qu’elles usurpent est toute personnelle ; elle n’est, à vrai dire, qu’une extension du droit de propriété que le souverain possède sur son royaume et dont ses parents ou amis s’attribuent l’exercice total ou une grande part. Et seules ont part à cette autorité la mère, la femme ou la maîtresse du roi. Les autres femmes en sont exclues. Esclaves en effet, elles n’ont aucun rôle dans les affaires du pays et ne peuvent en avoir, les mœurs interdisant aux femmes toute vie extérieure et le régime ne se prêtant pas à la formation d’une opinion publique.

Comme les lignes de Montesquieu que nous avons citées le montrent avec une merveilleuse pénétration, il n’y a guère eu de place non plus dans les régimes parlementaires pour l’influence féminine. Sous ces régimes, en effet, les hommes ont été, jusqu’à la fin du xixe siècle, pourvus de droits politiques dont les femmes étaient jalousement exclues ; toute participation officielle à la politique est donc interdite aux femmes et elles n’ont que peu de part dans la formation d’une opinion publique ; celle-ci existe en dehors d’elles et trouve pour se manifester vingt modes d’expression, réunions publiques, journaux, qui n’ont aucunement besoin des femmes pour produire leurs effets.

Dans une monarchie, absolue en théorie, en réalité limitée comme le fut la monarchie française au xviiie siècle, le rôle des femmes sera très grand. Car, à côté de la puissance royale, une autre force apparaît alors dont les dirigeants, les ministres doivent, dans une certaine mesure au moins, tenir compte : l’opinion publique. Cette opinion est, à de très rares exceptions près, non celle du peuple mais celle d’une élite, la Cour et la ville. Elle se manifeste, non comme sous un régime démocratique, par de grandes réunions populaires ou la voix de la presse, mais par les écrits des hommes de lettres et surtout par les cabales et les intrigues des petites coteries qui se forment à Versailles et dans les principaux salons de fa capitale. Le monde, en un mot, a sur la marche des affaires une influence à laquelle il ne pouvait prétendre ni dans une monarchie véritablement absolue comme celle de Louis XIV, ni sous un régime parlementaire. Pour une raison analogue, la Cour et la ville, non contentes de représenter l’opinion publique, interviennent dans la nomination aux ministères, aux charges de la Cour, aux postes de l’administration provinciale ; car d’une part nous sommes sous un régime de bon plaisir et il n’existe, comme ce sera le cas sous