Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/145

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Que, du moment où elle réussit à faire exiler Maurepas jusqu’à sa mort, la favorite ait bien tenu le rôle d’un premier ministre, les témoignages des contemporains ne permettent pas d’en douter. Pendant les cinq premières années de sa faveur, elle est apparue à la Cour comme la représentante d’un parti, le parti de la finance, comme l’instrument dont se servait ce parti pour influer sur les affaires de l’État. Mais, note d’Argenson, en 1750, « la marquise de Pompadour vole de ses propres ailes et n’a plus de conseil connu ».

À partir de cette date, en effet, nous la voyons suivre une politique de plus en plus indépendante vis-à-vis des ministres qu’elle a contribué à élever et sur lesquels elle s’appuie ou qu’elle combat, suivant les besoins du moment sans jamais s’inféoder entièrement ni pour longtemps à aucun. Vis-à-vis du roi qui la met au courant de toutes les affaires importantes de l’État, elle joue bien en effet le rôle du traditionnel premier ministre.

Ce rôle, elle se met en état de le tenir en s’instruisant de la politique. Nous l’avons vue, suivant d’Argenson, faire son livre de chevet des mémoires de Torcy et « faire la savante en politique ». Elle est décidée, lui fait dire l’auteur de ses mémoires apocryphes, « à étudier la science du gouvernement dans la théorie et dans la pratique ».

Et son instruction politique est bientôt assez complète pour qu’elle apparaisse au courant de toutes les affaires de l’État, et en puisse discuter avec autant de compétence que le roi ou n’importe lequel des ministres.

De plus en plus, elle apparaît aux j^eux du roi comme la personne sûre à laquelle seule il peut se confier, à laquelle seule il peut demander des conseils désintéressés. À travers les mémoires du temps, on peut suivre l’affermissement et l’extension de son influence. On parle d’elle d’abord comme d’une favorite qui, telle Mme  de Mailly, est à la tête d’un parti. Puis elle apparaît comme un ministre et bientôt comme un premier ministre. Loin de vouloir tenir secret ce rôle de la favorite, Louis XV semble vouloir le rendre public, officiel. Les ministres, pour discréditer Mme  de Pompadour, font courir le bruit que le conseil se tient chez elle. Le roi laisse dire, enchanté que la marquise passe pour un premier ministre. « Il plaît à notre maître, écrit d’Argenson, que Mme  de Pompadour soit premier ministre et qu’elle en ait l’apparence extérieure. »

Remarque curieuse et qui jette un jour singulier sur la psychologie de Louis XV. Pourquoi tient-il que sa favorite apparaisse officiellement comme le premier ministre ? Sans doute pour montrer à ses ministres à ses courtisans son mépris, pour bien marquer