Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/208

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les ressources, souvent assez maigres, pour y amener un semblant d’abondance.

Écoutons Marmontel nous retracer son enfance, écoulée dans la petite cité de Bort, près Mauriac. Rien ne nous édifiera mieux sur le rôle de la femme dans la petite bourgeoisie.

Sa famille est nombreuse et plus de femmes que d’hommes la composent. Dans la maison qui abrite les époux, vivent en effet la mère de M. Marmontel, la mère et la grand’mère de Mme Marmontel et l’une de ses sœurs. « Mon père, dit l’écrivain, se trouvait au milieu de cet essaim de femmes qui, toutes, s’efforçaient de lui rendre la vie facile et agréable. »

Et cette vie est agréable en effet, pleine de plaisirs simples, mais d’autant plus goûtés et surtout d’une douceur et d’une bonhomie patriarcales. « Avec très peu de bien, dit l’écrivain, tout cela subsistait. L’ordre, le travail, l’économie, un petit commerce et surtout la frugalité, nous maintenaient dans l’aisance. » Et le voici, brossant une série de tableaux champêtres qui méritent d’être reproduits comme le meilleur commentaire des tableaux de Chardin. « Le troupeau de la bergerie de Saint-Thomas habillait de sa laine, tantôt les femmes et tantôt les enfants ; les femmes la filaient ; elles filaient aussi le chanvre du champ qui nous donnait du linge. La cire et le miel des abeilles, qu’une de mes tantes cultivait avec soin, était un revenu qui coûtait peu de frais[1]. » Et, semblant emprunter le pinceau de Virgile, il nous dépeint sa tante visitant les ruches et recueillant les rayons d’or.

Ailleurs, il nous montre sa grand’mère le régalant des friandises campagnardes : de beaux coings rôtis, entourés de pâte, à la mode auvergnate et, par son activité industrieuse, donnant « un air de fête à toute la maison » ; sa mère, toute émue et pouvant à peine retenir ses larmes lorsque son père le conduit au collège de Mauriac, mais toute joyeuse lorsqu’aux premières vacances elle voit, sur la première boutonnière de la veste de l’enfant, briller la croix d’honneur[2].

Or, de telles femmes ne sont exceptionnelles, ni par leur intelligence ni par leur culture, ni par les circonstances qu’elles traversent et, dans chacune des villes, dans chacun des bourgs de France, elles doivent se trouver reproduites à des centaines de milliers d’exemplaires. Les petites bourgeoises parisiennes ou provinciales qui, plus que les autres, connaissent le prix de l’effort patient, de

  1. Marmontel. Mémoires.
  2. Ibid.