Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/262

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femmes étaient reléguées souvent dans les emplois inférieurs, enfin parce que même lorsqu’elles exerçaient, et de la même manière que l’homme, un métier masculin, elles ne recevaient pas pour un travail égal un égal salaire.

D’ailleurs, la solidarité de classes dont le sentiment naît déjà, obscur sans doute mais parfois assez précis chez l’ouvrier qui rend celui-ci plus fort, est totalement absente chez l’ouvrière et le restera jusqu’au début du xxe siècle.

Si donc quelques femmes : marchandes de modes, commerçantes, couturières, lingères, actrices renommées, femmes de charge ou femmes de chambre des maisons princières, grosses marchandes des Halles, peuvent acquérir une situation enviable et parfois la fortune, ces exceptions illustres et enviées n’empêchent pas la majorité des femmes qui travaillent d’être soumises à une très dure loi d’airain. Le prolétariat féminin est dans son ensemble plus malheureux, plus misérable que le prolétariat masculin.

Comme au xixe siècle, la femme qui travaille ne peut en général vivre avec le produit de son travail. Il lui faut chercher dans l’appui de l’homme un allégement à son fardeau. Or, souvent elle ne peut se marier. Elle est donc poussée vers la galanterie ou la prostitution. Dès maintenant celles-ci ont non plus seulement des causes d’ordre moral ou physique mais d’ordre économique. C’est un petit fait qui n’a pas échappé aux plus clairvoyants des contemporains ; Mercier et Restif de la Bretonne montrent des milliers de filles qui, condamnées à des salaires de famine et ne pouvant ou ne voulant se marier, doivent, non pas toujours par goût mais par nécessité, se mal conduire.

Galanterie et prostitution revêtent d’ailleurs des formes très diverses et, parmi les irrégulières, on trouve toute une hiérarchie presqu’aussi compliquée que celle de la société régulière, une aristocratie, une classe moyenne, une populace, mais qui, toutes, tirent leur origine du peuple et non d’autres classes sociales.

Et c’est pourquoi c’est avec le peuple que nous devons les étudier.

Au sommet, les grandes courtisanes. Celles-ci sont recrutées en général parmi les femmes de théâtre et particulièrement parmi les « filles d’opéra ». Bien en vue, célèbres souvent, elles sont recherchées par les grands seigneurs, les fermiers généraux, les riches étrangers dont une liaison célèbre flattera la vanité.

Celles-là forment vraiment une aristocratie qui le dispute par son luxe aux femmes de la Cour et l’emporte souvent sur elles : nobles et bourgeois, Français et étrangers rivalisent pour elles de