Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/27

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comme la piété et la douceur sont naturelles à leur sexe, la domination en serait moins rigoureuse que n’a été celle de plusieurs princes. » Eut-il connaissance de l’ouvrage de Poulain de la Barre ? rien ne le prouve, mais le passage de l’Esprit des lois où Montesquieu fait, presque dans les mêmes termes, l’apologie des gouvernements féminins, semble une réminiscence du traité de l’Égalité des sexes.

Celui-ci, d’ailleurs, dépasse de beaucoup par sa hardiesse l’Esprit des lois. Son auteur se contentera de justifier en droit un usage commun : l’exercice du pouvoir suprême par les reines ou régentes. Poulain de la Barre, lui, réclame pour les femmes toutes les fonctions d’état, « elles peuvent être, dit-il, vice-reines, gouvernantes, secrétaires, conseillères d’État, intendantes des finances ». Et comme il n’y a, conclut Poulain de la Barre, ni charge ni emploi qui ne soit renfermé dans ceux dont on vient de parler, il faut reconnaître que les femmes sont propres à tout.

Les traités de l’Éducation des femmes et de l’Égalité des sexes constituent certainement le plaidoyer le plus vigoureux, le plus serré qui ait jamais été fait pour l’émancipation féminine. Toutes les idées, tous les thèmes que développeront aux trois siècles suivants les écrivains, hommes ou femmes, sont déjà formulés, déjà indiqués et souvent heureusement développés. Égalité naturelle des sexes prouvée par l’identité des cerveaux, combattue par la différence injuste de l’éducation, restituée par une éducation semblable, droit de la femme à connaître la vérité et à en faire, pour l’élévation de son âme, pour la conduite de ses semblables, pour son profit personnel au besoin, l’usage que bon lui semble, revendication de la liberté contre la religion qui accapare, malgré elles, tant de jeunes filles, contre les maris trop souvent despotes[1], tout le catéchisme, tous les catéchismes féministes sont contenus dans les ouvrages de Poulain de la Barre, l’un des penseurs les plus hardis de son époque, et qu’une injustice de la destinée littéraire a empêché de mettre à sa vraie place parmi les grands précurseurs.

Ni Condorcet, ni Stuart Mill, ni les modernes suffragettes ne trancheront d’une manière plus décisive la question. Ses ouvrages ont donc, au même titre que ceux des philosophes du xviiie siècle, une grande valeur « humaine ». Il n’empêche qu’à côté de la logique, de la pure raison et des principes du maître, le spectacle de son époque n’ait

  1. Ces deux idées sont indiquées seulement avec la discrétion qui convient mais néanmoins d’une manière fort nette. Stasimaque, l’un des personnages du dialogue sur l’éducation, s’exprime ainsi : « J’empêcherais qu’on ne mît les filles en religion malgré elles. Je limiterais si bien l’activité maritale que pas un homme n’en abuserait. »