Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/28

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été pour une bonne part dans la netteté de ses conceptions. L’exemple de la Grande Mademoiselle et de tant d’autres lui a montré que les femmes peuvent entreprendre avec succès ce qu’il y a de plus élevé et aspirer à tout.

Une étude approfondie de l’évolution des idées concernant la nature et le rôle de la femme pendant le règne de Louis XIV montrerait ces deux faits curieux : Poulain de la Barre, si original par sa claire méthode et la hardiesse de sa logique, n’est cependant que le représentant le plus remarquable d’un état d’esprit plus courant de son temps qu’on ne le croit communément. Sous le règne de Louis XIII, la régence et le début du règne de Louis XIV, l’esprit féministe a gagné, avec la noblesse, la bourgeoisie elle-même. Les professions de foi féministes de Mlle  de Montpensier et de Mlle  de Scudéry, revendiquant l’une égalité dans le ménage, l’autre l’égalité d’instruction, des pièces comme les Précieuses ridicules et l’Académie des femmes de Chappuzeau, daubant sur les velléités d’émancipation intellectuelle ou légale des petites bourgeoises, les pièces même de Corneille où les héroïnes ne laissent pas de marquer autant de maîtrise de soi-même, de logique raisonneuse et de volonté que les protagonistes masculins, voilà d’éclatantes preuves de la large diffusion des idées féministes.

Mais bientôt, ce grand mouvement s’arrête. Au moment où paraissent les œuvres de Poulain de la Barre, dernier épanouissement d’un demi-siècle de pensée féministe, un autre esprit, nettement antiféministe, commence à s’établir. Les grands écrivains sont unanimes à circonscrire l’empire des femmes dans les bornes du pays du Tendre ou à les renvoyer durement au foyer.

Pour tous ceux qui font profession d’observer, sans passion, les hommes, La Bruyère, La Rochefoucauld, Saint-Evremond, les femmes sont les esclaves de leur cœur et de leurs sens. Jamais la froide lumière de la raison ne les guide, mais toujours les impulsions du cœur. En un siècle où la raison est déesse, où être raisonnable est pour une personne, pour une œuvre, la suprême qualité, l’infériorité est irrémédiable.

Inférieure à l’homme, la femme, pense Molière, ne doit pas viser à cultiver de la même façon que l’homme son esprit. Sans doute Chrysale lorsqu’il trace à la femme ce par trop modeste programme !

Que la capacité de son esprit se hausse
à connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse


n’est pas l’interprète de Molière. Et sans doute ses exégètes ont-ils raison d’affirmer que la femme, « qui a des clartés de tout », a ses