Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/313

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qu’une demi-douzaine d’embaucheuses s’emparent d’elle et agissent sur son esprit, dépourvu encore de réflexion, la circonviennent et l’amènent à prononcer des vœux qu’elle regrette ensuite amèrement[1]. »

N’est-il pas surprenant, écrit un jour une jeune religieuse de Lyon au roi Louis XV, que nos lois qui ont fixé l’âge d’une fille en état de passer un contrat, aient oublié de parler de celui auquel elle peut faire des vœux[2] ?

Contre un tel état de choses, les protestations furent nombreuses sans doute. Elles restèrent le plus souvent cachées. Mais telles déclarations faites par des religieuses au moment de la dispersion des couvents, en 1790, montrent une singulière rancœur[3]. Et tel fait divers tragique, comme le suicide d’une jeune fille dans un couvent de Paris, dont La Harpe tira sa Mélanie, montre que les assertions de Diderot, sur la fausseté des vocations religieuses, durent correspondre souvent à la réalité.

Entrées au couvent par force, bien plutôt que par vocation[4], les religieuses n’ont plus, semble-t-il, cette acceptation joyeuse du sacrifice qui a fait si peuplés les couvents du moyen-âge et qui, au xviie siècle encore, a amené la création de tant d’ordres religieux ; le xviiie siècle, lui, n’en voit naître aucun.

Dans le cloître, les religieuses semblent regretter le monde. Sans doute il est encore des communautés où l’on mène une existence austère : les chanoinesses de Poligny se lèvent la nuit pour faire l’office, font maigre et jeûne toute l’année, ne portent pas de linge et vont nu-pieds été comme hiver[5]. Mais, le plus souvent, l’esprit mondain pénètre sous bien des formes souvent inattendues. Les chanoinesses de Remiremont mènent une vie de grandes dames : les réceptions, les fêtes occupent leur vie et, pendant les rares moments où elles rendent au siège capitulaire les nourritures délicates, les objets de luxe figurent en bonne place sur les comptes de leur économe[6].

Celles-ci sont, il est vrai, des séculières qui ne sont obligées ni à la

  1. Cf. Mme  du Hausset. Mémoires.
  2. Ibid.
  3. Arch. Nation., D. XIX, 14-15.
  4. Arch. Nation., D. XIX, 1.
  5. Arch. Nation., D. XIX, 1.
  6. Au cours du xviiie siècle, nous relevons sur l’état des comptes de la secrète de Remiremont : « Perdrix, grives, canards, carpes, poulets, jeux de cartes, etc… » Arch. Départ., Vosges, passim.