Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/18

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contre d’injustes mépris ». Venue, dit-elle, après l’homme, dernière œuvre du créateur, la femme est le chef-d’œuvre de la création…

Plus intelligente que l’homme, elle possède « le transcendant des choses créées », c’est-à-dire saisit par intuition l’essence même des choses. Pour la première fois, la faculté intuitive de la femme est aperçue. Apte à commander, la femme peut revendiquer l’égalité politique comme la conséquence d’un droit historique et d’un droit naturel, étant, puisque la plus intelligente, la plus raisonnable, la plus capable de gouverner avec équité. D’ailleurs : dans les premières sociétés civilisées « les femmes commandèrent, jusqu’au moment où l’homme usurpa leur pouvoir ». Voilà donc ébauchés (sans preuve, sans arguments, mais d’une façon néanmoins assez claire) la théorie du matriarcat. Le plaidoyer de Marguerite de Navarre, que malheureusement nous ne connaissons que par une analyse faite par Pierre de l’Escale dans la Défense des femmes, marque donc une date dans l’histoire du féminisme.

À la fin du xvie siècle, quelques-uns des écrivains des plus représentatifs de leur temps se laissent gagner au féminisme, moins convaincus sans doute par les apologies des femmes que par leur propre expérience.

Brantôme ne se contente pas d’élever un véritable monument à la gloire du sexe faible, il parsème son œuvre de réflexions féministes.

Rapportant la sortie de Catherine de Médicis contre la loi salique, il s’élève contre l’usurpation que les hommes, favorisés par la faiblesse d’un sexe incapable de débattre ses droits à la pointe de l’épée, ont faite des droits féminins, montre, par des exemples empruntés au moyen-âge, que l’exclusion des femmes de la vie politique n’est ni un fait naturel, ni universel, soutient, comme le fera plus tard Montesquieu, que la beauté, la douceur et la vertu féminines seraient, autant que la force, un utile ressort du gouvernement.

D’esprit nullement révolutionnaire et peu original, Brantôme ne peut que refléter une opinion commune. Montaigne, qui passe au crible de sa raison tous les préjugés, semble lui aussi peu éloigné de reconnaître l’égalité naturelle des sexes.

« Je dis, professe-t-il, que mâles et femelles sont jetés dans le même moule. Sauf l’institution et l’usage, la différence n’y est pas grande. Platon appelle indifféremment les uns et les autres à la société de toutes les études, charges et vocations guerrières et paisibles, et le philosophe Antisthénés ôtait toute différence entre leur vertu et la nôtre… Il est plus aisé d’accuser un sexe que d’excuser l’autre… »

Sans doute, Montaigne ne laisse pas de cribler parfois les femmes de ses brocards ; mais il crible aussi les hommes. Et le passage que nous