Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/223

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des hôteliers de Dijon[1], celle des orfèvres de Caen. Telles étaient les deux importantes corporations des grainiers et des poissonniers de Paris. Le règlement des premiers, établi par Louis XIV en 1678 et qui reste en vigueur jusqu’à la suppression des corporations, mentionne à tous ses articles « les maîtres et maîtresses, marchands et marchandes, grainiers et grainières, apprentis et apprentisses ». Par une disposition exceptionnelle, dans une corporation mixte et qui prouve que les femmes devaient être presque aussi nombreuses que les hommes dans la corporation, non seulement les maîtresses grainières pouvaient, après six ans d’exercice, être élues jurées par la communauté des maîtres et des maîtresses, mais deux jurées sur quatre devaient être choisies parmi les maîtresses[2].

Les poissonniers d’eau de mer et d’eau douce jouissent d’un statut à peu près analogue à celui des grainiers. Non seulement la corporation est, elle aussi, une corporation mixte, mais l’élément féminin semble assez nombreux pour qu’à chaque article des statuts et règlements donnés à diverses époques on spécifie qu’il s’agit bien des poissonniers et poissonnières. Ces dernières et, en général, toutes celles qui vendent sur le carreau des Halles forment d’ailleurs une communauté qui, à Paris, est fort importante pour le rôle qu’elle joue dans la formation de l’esprit public. La marchande des Halles, la dame de la Halle, comme on l’appelle au xviie siècle et au xviiie, est l’un des personnages les plus connus de l’ancien régime. Elle est justement réputée pour la verdeur de son langage. Des ordonnances de police, renouvelées depuis Charles V, doivent lui défendre d’insulter les passants, mais, semble-t-il, sans grand succès. Elles possèdent quelques privilèges dont elles sont très fières et très jalouses, celui de figurer aux grandes fêtes ou cérémonies, celui d’aller faire visite à la reine lors de la naissance d’un dauphin et de souper, à cette occasion, au château royal. Ce privilège, les dames de la Halle l’exercent jusqu’aux dernières heures de la monarchie. Elles vont féliciter Marie-Antoinette lors de la naissance du dauphin. Le Parlement, de même, accordait parfois aux dames de la Halles l’entrée dans les salles du Palais. Les ménagements, les flatteries que les pouvoirs publics avaient pour cette communauté, qui n’était pourtant pas exceptionnellement importante par le nombre de ses membres ni par le caractère relevé du métier, viennent évidemment de l’influence que, depuis les jours

  1. Arch. Dép., Côte-d’Or, G. 127. Ibid.
  2. De Lespinasse. Ibid. Statuts des grainiers.