Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/268

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appliquées et le commerce des matrones semble avoir été florissant.

Exercée librement ou dans les maisons closes, clandestinement ou officiellement, la prostitution faisait vivre des milliers de femmes. Leur nombre exact est d’ailleurs difficile à évaluer.

À Paris seulement, elles devaient dépasser, et de beaucoup, vingt mille. Quelques écrivains de l’époque affirment que près de quarante mille filles vivaient de la débauche[1]. D’autres ramènent ce chiffre à vingt ou vingt-deux mille ; un même auteur donne dans deux passages différents ces deux chiffres. Il est probable que vingt mille femmes environ tiraient leur seule ressource de la prostitution et qu’un nombre égal, en y comptant dix mille filles entretenues, y trouvaient un salaire d’appoint indispensable. « Si la prostitution venait à cesser, vingt mille filles, dit Mercier, périraient de misère, les travaux de ce sexe malheureux ne pouvant suffire ici à son entretien et à sa nourriture[2]. »

Dès ce moment, la prostitution apparaît donc aux observateurs du siècle comme un mal nécessaire et qui a des causes économiques profondes.

Les législateurs ne l’ont pas, eux, aperçu ; inspirés par les dogmes chrétiens et la loi romaine, ils continuent à ne voir dans la prostitution que le vice, le crime, la maladie honteuse causée par le goût de débauche de quelques filles impures et, loin de penser à atteindre le mal en sa source en modifiant le statut économique féminin[3], ils ne visent qu’à punir l’inconduite des femmes et à en prévenir les fâcheux effets. Ils ont donc élaboré une législation répressive dont les grandes lignes se sont maintenues bien au delà de la Révolution et jusqu’à notre époque.

C’est pour la fille du monde surtout que la liberté individuelle n’existe pas. Soumise à une surveillance constante de la police, elle est non seulement arrêtée lorsqu’elle a commis une action indélicate (ce qui est fréquent, car beaucoup d’entre elles sont des escroques qui pratiquent l’ « entolage », ou des espionnes), ou lorsqu’elle a fait du scandale dans les rues, mais périodiquement soumises à des « rafles » destinées, soit à l’épuration de certains lieux de la capitale, comme le Palais-Royal, soit à l’examen médical d’une

  1. Mercier. Loc. cit.
  2. Ibid.
  3. Cependant, les adversaires du régime corporatif tiennent, nous l’avons vu, les entraves qu’il met au travail féminin pour l’une des causes de la débauche.