Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/341

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de naturel. En même temps le récit s’allège, devient moins long, moins massif et se débarrasse de l’enflure du style, du convenu des sentiments. Le roman par lettres, qui répond si bien au goût du siècle pour une littérature à demi subjective, fait son apparition. Certains pays : l’Angleterre, la Suisse, fort à la mode, sont pris volontiers comme cadre de l’action. Enfin le roman sert souvent de prétexte à la discussion d’idées politiques ou philosophiques. L’évolution du genre est donc très marquée.

Les romancières y ont pris une large part. La première, Mme de Tencin, donne dans le Comte de Comminges, un modèle de roman historique dont une action bien conduite, une peinture vive et naturelle, des sentiments amoureux, un style élégant assurent le succès. Ses émules sont nombreuses et d’inégale valeur. Mme de Fontaine réussit assez bien dans le même genre pour que Voltaire emprunte au plus célèbre de ses romans, la Comtesse de Savoie, Artemise et Tancrède, et loue

… le langage enchanteur
La force et la délicatesse
La simplicité, la noblesse


et « le naturel aisé dont l’art n’approche point ». Peu connue aujourd’hui, Mme de Fontaine fut alors considérée en effet comme un auteur de grand talent.

Mlle Bernard, nièce de Corneille et parente de Fontenelle, qui lui facilita la carrière des lettres, Mme de Murat, familière du salon de la duchesse de Maine, écrivirent des romans historiques très appréciés. Ils méritèrent cette faveur à plus d’un titre. Mlle de Bernard était douée d’une imagination romanesque, un peu mélodramatique, qui rend intéressants son Éléonore d’Yvrée et son Inès de Cordoue. Mme de Murat, dont les Malheurs de la Jalousie sont l’œuvre la plus importante est, comme Mme de Tencin, une assez fine psychologue et son style est d’une charmante simplicité. Au contraire, les romans de Mme Durand (Charles VII, Louis III de Sicile) sont médiocres bien qu’ils aient été assez lus, et plus encore ceux de Mme de Lubert (Amadis des Gaules), de Mme de Lussan (Vie de Grillon), et de Mme de Gomez, qui assurèrent de leur temps une certaine notoriété à leurs auteurs et de bien d’autres qui, même de leur temps, restent obscurs.

La formule du roman par lettres qui met en scène des personnages modernes et ne s’embarrasse pas, pour rendre les aventures sentimentales plus intéressantes, de les transporter à une époque reculée, cette formule, qui est celle de Rousseau dans la Nouvelle