Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/345

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mes, avec Milton et Camœns. Cette paisible bourgeoise normande, aimable lorsqu’elle décrit des voyages mais à qui, dans la tragédie même, le souffle et l’envolée font défaut, se crut génie épique et aborda sans pâlir le Paradis terrestre et la Colombiade.

Galant, Voltaire l’en loue :

Nouvelle Muse, aimable Grâce,
Allez au Capitole[1], allez, rapportez-nous
Les myrtes de Pétraque et les lauriers du Tasse.
Si tous deux revivaient, ils chanteraient pour vous.
En voyant vos beaux yeux et votre poésie.
Tous deux mourraient à vos genoux
Ou d’amour ou de jalousie.

Lorsqu’on parcourt les deux épopées de Mme du Bocage, on ne peut croire que l’auteur du Temple du Goût n’ait pas, dans ces louanges exagérées (qui furent prises pour argent comptant par l’intéressée et par bon nombre de contemporains) déployé toute sa subtile ironie. À les lire, en effet, on évoque involontairement le personnage de Molière qui met en madrigal toute l’histoire romaine. Car Mme du Bocage possède, à défaut d’autres, le talent de rapetisser les grands sujets, d’affadir jusqu’à l’écœurement des héros les plus tragiques. Des grandes fresques de Milton et du Camœns, elle fait, dit avec raison un contemporain, des « miniatures ». Cela donne la mesure de ses dons poétiques.

Mlle Bourette, la muse limonadière[2], qui jouit comme telle au milieu du xviiie siècle d’une célébrité qui de la ville de Paris gagna la campagne, la Cour, pour se répandre dans toute l’Europe, a du moins le mérite d’avoir conscience de ses moyens et de ne point viser trop haut. Ses poésies de circonstances ont une agréable bonhomie. Et ce n’est pas sans quelques grâces piquantes qu’elle remercie de leurs marques d’intérêt ses nombreux protecteurs.

iii. Histoire, philosophie, critique

Quelques femmes ne s’en tiennent pas aux œuvres d’imagination et abordent l’histoire, la critique littéraire, l’économie politique.

  1. Allusion à sa réception à l’Académie des Arcades, à Rome.
  2. Elle était, nous dit l’Histoire littéraire des femmes françaises, patronne d’un café situé rue Croix-des-Petits-Champs.