Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/356

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de Sainte-Palaye, mais aussi le médiocre Bougainville, frère du navigateur. À Mme de Pompadour, « qui ne s’enferma dans aucune secte, ne servit aucune haine et pesa sur le suffrage de l’Académie juste autant qu’il est nécessaire et convenable », l’Académie est redevable de Voltaire, de Duclos et de Piron. Mme Geoffrin qui, plus que nulle autre avant Mlle de Lespinasse, disposa des suffrages de l’Académie, eut à soutenir une lutte épique contre les partisans de la Cour pour obtenir l’élection de Marmontel et surtout la ratification de celle-ci par le roi. Saurin, Watel et l’abbé de Rohan lui durent également leur élection.

« À partir de 1772, quand d’Alembert fut secrétaire perpétuel, rien ne se fit à l’Académie sans que Mlle de Lespinasse y collaborât[1] ». D’Alembert, qui agit alors sur les inspirations de Mlle de Lespinasse dont les idées et les sentiments fortifient les siens propres, ne laissait parvenir aux fauteuils académiques que leurs amis, et l’on peut dire alors du salon de celle-ci ce que d’Argenson disait de celui de Mme de Lambert : « Qu’il est impossible de parvenir à l’Académie si l’on a pas été d’abord le familier. »

Arnaud, Suard, le duc de Duras, Chastellux, la Harpe, Morellet, Thomas, furent élus grâce à elle. L’Académie devint alors le boulevard des philosophes et l’esprit encyclopédique y domina.

On voit donc que le rôle joué par la femme est, dans les luttes qui eurent pour théâtre la République des lettres, de tout premier plan. À elles un grand nombre d’écrivains doivent la possibilité de vivre en attendant la réussite, à elles ils doivent en grande partie leurs premiers succès, à elles leurs fauteuils académiques. À elles parfois aussi la possibilité de présenter leurs œuvres au public. C’est par Mme de Robecq que fut montée la comédie des Philosophes, de Palissot. C’est chez Mme Le Couteulx de Molé que fut lue la tragédie de La Harpe, Les Brahmes. C’est chez Mlle de Lespinasse que d’Alembert, Suard, Thomas, Morellet donnent la primeur de leurs articles, de leurs opuscules, de leurs éloges académiques qui commencent dans l’étroite chambre leur brillante carrière.

Si toutes ou presque toutes les réputations littéraires commencent dans les salons, c’est que ceux-ci, et donc les femmes qui en sont l’âme, sont les intermédiaires, les traits d’union entre les gens du monde et les écrivains. C’est à toutes les femmes, à tous les

  1. Brunel, Loc. cit.