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Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/365

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Enfin, la Bretagne[1], vieux pays traditionaliste où les coutumes de l’ère féodale persistent et où l’organisation seigneuriale de la propriété s’est maintenue plus qu’ailleurs, nous montre toute une hiérarchie de seigneurs, grands et petits, dans laquelle les femmes prennent exactement leur place, comme au moyen-âge. Sauf révision possible, lorsque l’on connaîtra, dans un plus grand détail, la répartition de la propriété dans chaque province, il semble donc que ce soit dans le Languedoc et en Bretagne, mais surtout dans cette dernière province, — où elle est presque aussi fréquente que la propriété masculine, — que la propriété féminine soit répandue. Quelles sont les prérogatives ou obligations que nous voyons les femmes détentrices de propriétés féodales remplir ou exercer ?

D’abord la formalité de l’aveu : « l’aveu est une reconnaissance que le vassal donne à son seigneur en raison des terres qu’il tient de lui[2] ». Cet aveu avait autrefois une valeur politique, il n’est plus maintenant qu’un acte de caractère civil, une simple déclaration de propriété faite au greffe de l’intendance ou du présidial lorsque les terres relèvent du roi, au représentant du seigneur lorsqu’elles relèvent d’un suzerain. Cette formalité marque cependant que la femme continue de tenir sa place dans ce qui reste de vie féodale. La cérémonie de l’hommage, qui complète celle de l’aveu, a perdu aussi son caractère politique et surtout, la grandeur qu’elle revêtait aux siècles passés ; mais elle persiste à titre de formalité indispensable à l’exercice de la propriété féodale ; ainsi, la hiérarchie ancienne subsiste et les femmes continuent de tenir une place dans cette hiérarchie, accomplissent les formalités qu’elle leur impose. Après avoir reconnu par l’aveu que les terres relèvent du roi ou du seigneur suzerain, les femmes prêtent hommage, soit aux représentants du roi, soit aux représentants de ce seigneur et, plus rarement, à ce seigneur lui-même.

La femme qui possède fief, il est vrai, n’accomplit pas toujours elle-même la cérémonie. Si elle est en puissance de mari, il arrive, le plus fréquemment, que le mari rende hommage au suzerain pour les terres de sa femme[3]. Mais, bien souvent aussi, la femme, fille ou veuve, ou même mariée, rend directement cet hommage. Comme au moyen-âge, elle a donc une personnalité morale et juridique lui

  1. Il serait à souhaiter qu’un érudit breton dressât une statistique des femmes possédant fief à la veille de la Révolution et, au moyen des archives départementales et communales, et de celles des notaires, étudiât leur administration.
  2. Dictionnaire de jurisprudence.
  3. Cf. Arch. Départ., Gers, Ille-et-Vilaine, Côtes-du-Nord.