Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/390

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de l’instruction générale ou professionnelle, les barrières placées devant la plupart des métiers ou professions condamnent une grande partie de la population féminine à la misère. Le pouvoir masculin ne se justifie plus, comme aux siècles passés, par la protection qu’il étend sur la femme et la subsistance qu’il lui assure. De brillantes individualités surgissent dans presque tous les milieux, montrant que la femme compte par elle-même et non plus seulement comme la compagne de l’homme. Dans ces conditions, pourquoi ne pas assurer à la femme la place qui lui revient légitimement dans la société, pourquoi ne pas la mettre à même de contribuer plus largement qu’elle ne le fait au perfectionnement social, tout en réalisant son bonheur individuel ? Pourquoi ne pas chercher la nouvelle formule capable de concilier, mieux que la loi du Christ et les Institutes, les droits de la femme et ses devoirs, ses légitimes aspirations à plus d’indépendance et l’obligation primordiale d’être épouse et mère ?

Comme les autres questions sociales, la question féminine s’imposera donc aux écrivains.

C’est là une grande nouveauté. Au xviie siècle, en effet, la question ne se posait même pas. Ne considérant que la femme de la haute société mieux que la femme, abstraction faite de sa condition sociale, les écrivains du xviie siècle n’envisageaient les rapports des sexes que sous leur aspect passionnel, et les remarques que les plus grands penseurs, La Bruyère, La Rochefoucauld, font sur les femmes, relèvent de la psychologie amoureuse. Seul, Molière a vu dans la question féminine une question sociale.

Au xviiie siècle, les écrivains commencèrent à descendre de leur tour d’ivoire pour apercevoir, non plus seulement la grande dame habitante du fabuleux pays du Tendre, mais toutes les autres femmes dans l’infinie variété de leur condition, se pencher sur les infortunes de la femme du peuple, jusqu’alors ignorées, et à tenir pour nécessaire la révision des rapports économiques et sociaux entre les deux sexes.

Il n’est pour ainsi dire pas un auteur du xviiie siècle, romancier, historien, mémorialiste, sociologue ou philosophe, que le problème féminin n’ait, sous l’un ou l’autre de ses aspects, obsédé. Aucun ne consacre un grand ouvrage aux femmes, mais tous se trouvent amenés à faire à propos d’histoire, de psychologie ou de l’observation des mœurs contemporaines, des réflexions plus ou moins profondes, des remarques plus ou moins justes sur les femmes.

Les plus grands donnent l’exemple. L’universel Voltaire ne se