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Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/400

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i. Théoriciens de l’égalité

Montesquieu est sur ce point très net : « C’est une question de savoir, dit-il, si la loi naturelle soumet les femmes aux hommes. Non, me disait l’autre jour un philosophe très galant, la nature n’a jamais dicté aux hommes une telle loi. L’empire que nous avons sur elles est une véritable tyrannie. Elles ne nous l’ont laissé prendre que parce qu’elles ont plus de douceur que nous et par conséquent plus d’humanité et de raison. Ces avantages, qui devraient leur donner la supériorité sur nous si nous avions été raisonnables, la leur ont fait perdre parce que nous ne le sommes point.

Or, s’il est vrai que nous n’avons sur les femmes qu’un pouvoir tyrannique, il ne l’est pas moins qu’elles ont sur nous un empire naturel, celui de la beauté à qui rien ne résiste. Le nôtre n’est pas de tous les pays, mais celui de la beauté est universel. Pourquoi aurions-nous donc un privilège ? Est-ce parce que nous sommes les plus forts ? Mais c’est une véritable injustice. Nous employons toute sorte de moyens pour leur abattre le courage. Les forces seraient égales si l’éducation l’était aussi. Éprouvons-les avec les talents que l’éducation n’a point affaiblie et nous verrons si nous sommes forts[1]. »

Supprimons les phrases galantes sur l’empire naturel de la beauté, qui est une concession du goût de l’époque et au genre léger traité par l’auteur, et nous trouvons là la thèse féministe. Les deux sexes étaient créés égaux par la nature : la supériorité présente de l’homme est le résultat de l’usurpation masculine. Voulant assurer la supériorité acquise par une sorte de coup d’État, l’homme a maintenu la femme dans l’ignorance et dans la faiblesse. Cette ignorance et cette faiblesse acquises, non innées, lui ont permis par la suite de fonder en droit son usurpation.

À vrai dire, Montesquieu affirme sans se donner la peine de prouver. Et il ne se demande ni comment les hommes, s’ils n’étaient pas plus forts que les femmes, ont pu accomplir leur usurpation, ni s’il n’y a pas cependant sinon inégalité, du moins des différences spécifiques tant morales qu’intellectuelles entre les deux sexes.

Mme de Lambert, Helvétius soutiennent à peu près la même thèse. Pour l’un comme pour l’autre, la femme est faite par la

  1. Lettres persanes. Ed. Didot.