Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/410

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doute a-lt-elle le jugement sûr et de la finesse, mais l’initiative lui fait absolument défaut. « La raison des femmes est une raison pratique qui leur fait trouver les moyens d’arriver à une fin connue mais qui ne leur fait pas trouver cette fin. Aussi ne peut-elle discuter les vérités religieuses et est-elle inapte à la recherche des vérités abstraites, des axiomes dans les sciences, de tout ce qui tend à généraliser l’esprit…, les ouvrages de génie passent son entendement. » Plus faible de corps et d’esprit, objet des désirs de l’homme qu’elle subit et ne recherche pas, laissant dans l’amour l’initiative au mâle comme la nature l’exige, la femme est donc créée pour obéir. La soumission, voilà pour elle le premier des devoirs. Le principe d’autorité domine toute sa vie.

Rousseau ne va-t-il pas jusqu’à avancer que toute femme doit avoir la religion de son père et de son mari et que, quand cette religion serait fausse, la docilité qui soumet la mère et la fille à l’ordre de la nature, efface auprès de Dieu le péché de l’erreur[1] ?

Un père de l’Église ne pourrait s’exprimer d’une façon plus absolue ni retirer, avec plus de calme mépris, aux femmes toute pensée.

Rousseau destine-t-il la femme à être tout à fait une esclave ou, comme il dit lui-même, un véritable automate et une simple servante ? Ainsi ne l’a pas voulu la nature… Dans la société conjugale, dont l’homme a la haute direction, la femme a son rôle qui n’est pas celui d’une esclave. « De cette société résulte une personne morale, dont la femme est l’œil et l’homme le bras, mais avec une telle dépendance l’un de l’autre, que la femme apprend de l’homme ce qu’il faut voir et que l’homme apprend de la femme ce qu’il faut faire.

Si la femme pouvait remonter aussi haut que l’homme aux principes et que l’homme eut autant qu’elle l’esprit des détails toujours indépendants l’un et l’autre, ils vivraient dans une discorde éternelle et leur société ne pourrait subsister. Mais, dans l’harmonie qui règne entre eux, tout tend à la fin commune. Chacun obéit et tous deux sont les maîtres[2]. »

Voilà donc formulée par Rousseau, détracteur de la femme, comme par un de ses apologistes, la théorie du « couple » qui fera une si belle fortune chez les saint-simoniens. Chez Rousseau, elle est moins un développement qu’une simple transposition de la doctrine des pères de l’Église qui, eux aussi, ont justifié par la nécessité où se trouve le Créateur, — comme pour Rousseau la

  1. Émile (Œuvres complètes).
  2. Ibid.