Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/416

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Sans doute, Mme  de Puisieulx ne propose aux femmes qu’un programme tout littéraire, les classiques et l’histoire de France qui apprendront à la jeune fille à raisonner juste et à bien écrire sa langue maternelle. Et Mme  de Lambert, qui conseille à sa fille la lecture des classiques latins, et, pour les pouvoir assimiler, l’étude de la langue latine, les méditations sur l’histoire grecque et l’histoire de France, enfin un peu de philosophie, surtout naturelle, « pour apprendre à penser juste », proscrit encore les romans et prescrit à sa fille d’ « avoir sur les sciences une pudeur presqu’aussi grande que sur les vices » [1].

Mais Helvétius, qui juge identiques et susceptibles du même développement, pour peu que nul obstacle artificiel ne s’y oppose, les cerveaux des deux sexes, laisse entendre, sans d’ailleurs beaucoup préciser, que la même éducation, les mêmes livres conviennent à l’homme et à la femme et que, seule, une éducation vigoureuse, masculine, pourra guérir la femme de l’affectation, de la fausseté, de la frivolité, qu’avec une choquante hypocrisie, l’éducation qu’on lui dispense ne pouvant que les perpétuer, on ne cesse de lui reprocher[2].

Diderot, qui trace pour Catherine II un plan d’éducation des filles, veut qu’on donne à la jeune fille une instruction, non seulement littéraire, mais morale, scientifique et surtout pratique[3]. Son idéal est la jeune fille avertie, capable de discerner les dangers que lui fait courir un malhonnête homme ou un mauvais livre, préparée aux devoirs conjugal et maternel. Des notions étendues de sciences, particulièrement d’hygiène et d’anatomie, des éléments de puériculture, surtout, de la part de ses maîtres, la préoccupation de former son bon sens, de lui donner une vue pratique de l’existence, formeront la jeune fille accomplie, peu différente, on le voit, de telle de nos contemporaines.

Voilà déjà des programmes assez vastes, mais qui répondent surtout à des préoccupations d’ordre pratique. Voltaire qui, surtout au cours de sa liaison avec Mme  du Chatelet, ne cessa de rompre des lances en faveur de l’égalité intellectuelle des deux sexes (dont il fut plus intimement convaincu alors qu’à toute autre époque), engage les femmes à orner leur esprit, à fortifier leur âme en pénétrant les plus profonds arcanes de la science et en s’élevant aux

  1. Mme  de Lambert. Avis d’une mère à sa fille.
  2. Helvétius. De l’esprit.
  3. Diderot. Plan pour l’établissement d’une université (Œuvres complètes). Edition Assézat.