Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/436

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Le succès qui accueillit le Préjugé à la mode montre que le public était familiarisé avec pareilles idées, pareilles discussions.

Ainsi, la crise de la famille que, dans les classes nobles du moins, nous avons vu se manifester, a son retentissement dans les idées. Dès le xviiie siècle, la question des droits et des devoirs réciproques des époux, celle de la puissance maritale, celle d’une réforme susceptible d’amener, en fait comme en droit, l’égalité des deux sexes dans le mariage, questions qui feront l’objet de tant de chaleureux plaidoyers pour l’indépendance féminine au siècle suivant, sont agitées déjà, sérieusement discutées par les écrivains et portées devant l’opinion.

iii. La question du divorce

La réforme du mariage étant à l’ordre du jour, l’une des questions qui devaient susciter le plus de débats était celle de son indissolubilité qui, établie par le catholicisme, était la loi de l’Église et celle de l’État, mais que bien des écrivains condamnent comme contraire à la nature. Déjà la question du divorce est posée, et déjà les écrivains réclament le divorce au nom de l’intérêt féminin. Les plus qualifiés, les plus célèbres, Montesquieu, Voltaire, Helvétius, Diderot, sont ses partisans déclarés. Pour Voltaire qui, dans le Dictionnaire philosophique, aborde cette question, le mariage suppose le divorce et l’humanité primitive n’institue pas l’un sans l’autre. « Le divorce, dit-il, est probablement de la même date à peu près que le mariage. »

Le droit naturel le commande, car on ne peut avoir la barbarie d’imposer à deux époux qui se détestent la vie commune ou, par la séparation de corps et biens qui ne permet pas de se remarier, une affreuse solitude. Le droit canon lui-même est, quoi qu’on en dise, d’accord avec le droit naturel. « Quidquid legatur solubile est », dit le Code. Donc le lien du mariage, légalement formé, doit pouvoir être légalement rompu.

Pas plus que Voltaire, Helvétius n’admet le dogme de l’indissolubilité du mariage. Pour lui, cette indissolubilité est fondée, non sur le droit naturel ou la volonté divine, mais sur un simple motif d’utilité. « Qui créa le lien de l’indissolubilité du mariage ? La profession de laboureur, exercée par les premiers hommes… Dans cet état, le besoin réciproque et journalier que les époux ont l’un de l’autre allège le joug du ménage… : les conjoints, tout occupés du même