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LEN-AR-YOUDIC


Il faisait un beau clair de lune. Yann Jezéquel, le sacristain de Botmeur, s’en allait, de la part de son recteur, porter une lettre au curé de Laz. Tout dormait dans les chaumières ; dans leurs niches, les chiens grognaient en rêvant. Yann partait donc en voyage d’un pas ferme et assuré. Pour couper court, il traversait les marais. L’air vif, saturé d’effluves âcres et forts, le cinglait au visage. Des chouettes hululaient dans les rochers de l’Arrée. Parfois s’élevait la voix quasi-humaine de quelque loup, hurlant la faim. Haut, très haut, des nuages passaient dans le ciel.

Yann n’avait pas peur. Il tenait solidement son pen-baz en main et s’avançait à grandes enjambées, foulant allègrement les bruyères. Il traversa d’un bond l’Elez et s’engagea sans hésiter dans les tourbières. À son approche, des vanneaux s’envolaient à tire-d’aile, des poules d’eau plongeaient. Silencieux, un oiseau de nuit le frôla d’un vol inquiétant et lourd. La lune mirait son disque pâle dans les mares sinistres aux eaux tourbeuses. Yann regardait son ombre se mouvant nette sur un fond de ciel gris.

Le grand jour était venu. Le sacristain avait traversé les marais. Il marchait à travers les champs, s’arrêtant de temps en temps pour secouer la terre brune collant à ses sabots, « bonjourant » au passage les gens au travail, faisant s’enfuir dans les garennes bergers et bergères. Quand il avait trop chaud et que ses habits de grosse laine lui