Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/147

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marmites en ouïrent de belles ! Elles en eussent pâli, les pauvres, si cela avait été possible, et c’est miracle que les sauces ne tournèrent pas. Mari Beg-Arok et Channed Pikouz s’en trouvèrent à court de salive dès la deuxième heure. Elles remplacèrent la sécrétion de leurs glandes taries par le sang de la pomme, juste compensation d’une perte remédiable. Et Riwall, à grand renfort d’épithètes et de jurons, finit par convaincre Torr-Rëor de la mauvaise foi et de la méchanceté féminines. Torr-Rëor, écœuré de tant de duplicité étalée, grogna.

À cette noce mémorable, il y avait douze cents invités. Autant dire, qu’à part les lutins et les korrigans, tenus à l’écart des ébats diurnes, toute la montagne était conviée au festin. Et tout l’Arré certes, en bonne courtoisie et selon les principes inviolables d’une immuable galanterie, ne manquerait pas d’accourir. Tous ceux qui pouvaient se trainer d’une façon et de l’autre, et tous ceux qui pouvaient se faire traîner, depuis les enfants ne se mouchant point encore jusqu’aux tontons se mouchant de la main, arriveraient au bon moment, pleins de courage et de bonne volonté, c’est-à-dire pourvus d’une soif et d’une faim de bonne envergure (passez-moi l’expression !). En attendant, on avait creusé dans un champ en friche de profonds sillons dont les rebords accolés serviraient de tables. Dans le courtil transformé en cuisine, les feux flambaient sec, les marmites et les chaudrons fumaient. Dans le hourvari continuel des allées et venues, on percevait le bourdonnement des commères.

On avait fait toilette, ce jour-là, à la Métairie. Naïk, la mignonne pen-herez aux cheveux d’or était radieuse et elle ne cessait point de remercier le ciel de son bonheur. Elle avait revêtu de magnifiques atours, mis son double collier d’or et sa fine cornette blanche la coiffait adorablement. Quelques mèches blondes rebelles musaient sur sa nuque