Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/153

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logis, et des nouveaux mariés, hébétés de bonheur et béats d’amour. Ayant ainsi sacrifié à la courtoisie, Riwall, non sans un gros soupir, s’éloigna du village que d’un détour, il contempla, écrasé dans le repli sombre du Tar-Roz. Une petite émotion lui pinçait le cœur. En se remémorant ces trois jours de bombance fraternellement partagée en compagnie du compère Torr-Rëor, il se jura d’en garder fidèle souvenance. Un goût tenace de fars lui collait au palais et l’odeur persistante du « chufere » s’insinuait sournoisement dans ses narines.

Riwall le Sonneur avait du regret au cœur, ce regret vague, incompréhensible, illégitime aussi sans doute, de ce regret que les soirs lamentables d’hiver, on voit courir dans les nuages blafards. Les lendemains de fête sont de mornes jours de triste réveil, où l’on perçoit distinctement la chute exécrable du rêve à la fange de la réalité, à la misère quotidienne. Et Riwall, du regard, poursuivait dans les nuées mystérieuses la randonnée des chimères, quelque chose qui ressemblait à du désenchantement. Pour un peu, il aurait pleuré, lui, Riwall le Sonneur ! et quand si gai compère tombe dans la mélancolie, pour sûr, il y a de l’insolite dans les airs inquiets. Son biniou écrasé dormant sur son cœur, l’homme, au soir tombant, comme un manteau de deuil sur l’échine désolée de l’Arré, prenait le chemin du retour.

Riwall le Sonneur était pensif.

L’hiver trônait sur la montagne. Le vent endiablé sifflait dans les landes austères dont la tristesse infinie mettait des frissons de mort dans les touffes pressées des bruyères râpées et craquantes. Sa plainte s’enflait démesurément et faisait crépiter les massifs d’ajoncs séchés dont les troncs rugueux et lépreux s’entrechoquaient, s’embrassaient en crissant avec un bruit sinistre et cocasse comme le rire d’un damné. Un instant, la bourrasque se calmait. On l’entendait filer au loin. Dans les rangs mi-fauchés des fougères