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menter notre menu qui, en temps ordinaire, n’était pas le régime de la suralimentation. Il s’en fallait de beaucoup ! Nous sommes nombreux ceux qui en ont pâti ! Masson, lui, mangeait avec appétit, avec un entrain qui ne ralentissait pas. Moi j’avais dégoût des mets. La seule vue de la viande, son odeur, suffisaient à m’écœurer pour toute une journée. Cela désolait notre vigilante infirmière.

— Comment voulez-vous guérir, si vous ne mangez pas, disait-elle. Elle s’obstinait, m’obligeait à avaler des jaunes d’œuf crus que j’absorbais, les yeux fermés, comme des hosties.

Au bout de quelques jours, j’avais repris des forces, sinon de la sérénité. Pourtant, de longues quintes de toux, suffocantes, glaireuses m’abattaient. Ni la teinture d’iode, ni les ventouses n’y firent. Cette toux faisait désormais partie de mon individu. Et j’en riais, tout le premier !

Midi sonnant nous apportait des émotions : l’heure du courrier. C’était le gros et souriant concierge qui nous amenait les lettres, entre sa casquette et son cœur. Quant au surveillant général, le Napoléon de l’espèce, il ne venait plus. À peine entr’ouvrait-il la porte, de temps à autre et, passant prudemment sa tête fouineuse dans l’entrebâillement, il jetait un bref « Eh bien, ça va là-dedans ? »

Masson jurait Teutatès que Napoléon avait peur… Dame, on peut être brave à la guerre, à la face du ciel et du monde, devant les balles qui viennent droit à la poitrine offerte, et craindre la menace pateline de la Mort sournoise qui couve dans l’air fade d’une salle d’infirmerie. C’est humain. Les plus grands héros ont souvent eu de bien petites faiblesses. Et notre surveillant général n’était pas un héros… Que les petits collégiens de l’avenir, en souvenir de leur malheureux aîné, François Rosmor, boursier de l’État, lui soient cléments !

N’ayant pas de fièvre, je me levais chaque jour. La