Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/61

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Un rien me fera « sauter ». L’air m’est insalubre. Ces demoiselles, par solidarité professionnelle, ne manqueraient pas à la moindre incartade. Bah ! laissons faire le temps et l’oubli…

L’infirmière-major surtout, ne m’aime pas. Je la respecte beaucoup, le respect dû aux choses périmées. C’est une vieille fille du Midi. Une ancienne cocotte déhuppée qui a « fait » la guerre, de façon toute particulière il est vrai. Elle se faisait trousser par les officiers des armées interalliées. En levant les jambes, elle relevait le moral de nos guerriers. Elle fit œuvre patriotique. À elle, les palmes et les lauriers !

Mademoiselle l’infirmière-major a beaucoup d’esprit, trop d’esprit, à tort et à travers. Au réfectoire certain jour elle contait une histoire où il était question d’un Breton, se promenant en plein jour avec une lanterne allumée pour chercher je ne sais quoi… sans doute la beauté défunte de la spirituelle major. Des camarades n’ayant pas compris ont ri avec éclat. Moi, je n’avais pas assimilé toute la saveur du récit. Je fis des restrictions à haute voix. La major fut conspuée avec entrain. Le Breton possède à l’état latent, un vieux fonds de nationalisme qui se réveille parfois !

La major ne m’a pas dans son cœur. Cela se comprend. Elle s’ingénie pour m’accorder un régime de faveur qui soit compatible avec le règlement. Il va sans dire qu’il y a aussi un règlement au sana… Singulière manie de tout réglementer ici-bas alors qu’aucun de nos échafaudages ne résiste à l’ironique fortune ! On veut tout canaliser, tout dompter, se jeter aux yeux la perpétuelle poudre de l’illusion par laquelle nous voulons nous persuader que nous sommes quelque chose, des maîtres, alors que nous ne serons jamais que des esclaves et des vermines…

Avec une attention touchante, j’ai été recommandé aux soins vigilants du garde de jour qui me talonne, en frisant