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ALSACE.

Tout jeune homme arrivé à l’âge de raison met le marché à la main de ses parents et leur dit : si vous ne pouvez pas m’expédier en France, laissez-moi prendre ma volée avec les camarades. On travaille partout, je gagnerai mon pain, soyez tranquilles : d’ailleurs, j’aimerais mieux le mendier que de coiffer le casque prussien.

Que répondre à cela ? Les vieux parents s’inclinent, font le paquet du garçon, et la mère y glisse en pleurant ses petites épargnes. Tous ceux qui ont un peu de bien et qui peuvent le réaliser émigrent avec leurs enfants. C’est un gros changement dans la vie ; on sera presque pauvres, après avoir été presque riches, mais du moins on ne sera pas séparés. Mon voisin de campagne, à Saverne, était un homme aisé, instruit, de ceux qui sont partout à leur place. Ses intérêts le clouaient au sol natal ; cependant, comme il a quatre fils, et qu’il ne veut à aucun prix les voir Prussiens, je le trouvai dans les apprêts de l’émigration. Mais la veille du jour fixé pour le départ, la mère de famille, frappée au cœur par le spectacle de l’invasion et malade depuis deux années, rendit l’âme. Le mari et les orphelins ont eu à peine le temps de fermer cette tombe, où ils reviendront quelquefois, si la police allemande le permet. Il faut partir d’abord, c’est l’échéance ; la politique de M. de Bismarck n’attend pas. Hors d’ici, les vain-