Page:About - Causeries, deuxième série.djvu/299

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N’absorbent-ils pas par hasard tous les aliments, soit bons, soit médiocres, soit même nuisibles ? Dans cet empressement légitime, honorable même, qui les précipite à s’instruire, n’ont-ils pas enjambé trop vite les éléments, les premiers principes, l’A B C des sciences morales, économiques et politiques ? Ce n’est pas un reproche que je leur fais : la France n’a pas encore un seul livre élémentaire à l’usage du citoyen ; l’Angleterre en regorge.

— Nous en ferons aussi !

— Tant mieux ! mais laissez-moi dire. Les travailleurs français qui aiment tant la liberté pour eux, ont-ils autant d’amour pour la liberté d’autrui ? sauraient-ils la respecter à l’occasion, comme ils savent faire respecter la leur ? Ont-ils médité ce vieux précepte évangélique : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît à toi-même ? »

Un tel doute était presque une offense, et je me récriai hautement. Je confessai de bonne foi que l’ouvrier français, surtout dans les grandes villes, se fait une instruction plus brillante que solide, qu’il empoche un peu au hasard les idées nouvelles ; qu’il manque à ces esprits souvent très-bien doués, quelquefois même assez ornés, la première mise de fonds de l’enseignement rudimentaire. Je n’eus garde de nier les erreurs qui se sont commises sous nos yeux, dans l’ivresse d’une liberté tout fraî-