Page:About - Causeries, deuxième série.djvu/304

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que chacun d’eux n’eût jamais fait tout seul. Quel Français, quel sauvage même se dirait de sang-froid : « Je vais faire mourir de faim une femme qui travaille, et par cette combinaison j’arriverai peut-être à gagner quelques sous de plus par journée ? Le simple énoncé d’une telle proposition ferait dresser les cheveux sur la tête la plus mal faite ; à plus forte raison l’élite d’un peuple intelligent la repoussera-t-elle avec horreur. Mais ce n’est pas ainsi qu’on a posé la question. On a dit probablement : « Les patrons nous exploitent ; ils voudraient se passer de nous, ou tout au moins réduire nos salaires. En faisant travailler la femme qui vit de peu, ils préparent sous main la réduction de nos tarifs. C’est un piège qu’on nous tend, il faut nous mettre en garde. Montrons que l’ouvrier français n’est pas dupe, qu’il sait défendre ses intérêts, faire acte d’autorité, et se conduire en homme ! » Voyez-vous d’ici le mouvement qui gagne de proche en proche, la foule qui s’ébranle, la vitesse qui s’accélère, la masse qui déborde, et bientôt les femmes écrasées, avec des petits enfants tout autour ? Voilà, monsieur, l’histoire de toutes les iniquités populaires. Quand le mal sera fait, il n’y aura pas un coupable ; il n’y aura eu que des hommes entraînés.

— C’est consolant pour les victimes.

— Croyez-vous donc que je ne les plaigne pas ?