Page:About - Causeries, deuxième série.djvu/323

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Les ouvriers s’entendront aisément, je ne dis pas avec les ouvrières (c’est trop simple), mais avec leurs patrons aussi, lorsqu’ils ne se mettront plus en campagne pour un mot ou pour une formule avant de les avoir tirés au clair. Il n’y a pas de vin qui grise aussi terriblement que les mots ; vous voyez les hommes les plus sobres s’entretuer pour une phrase creuse ou un syllogisme boiteux. Lorsqu’ils en viennent à creuser la formule, à contrôler le raisonnement, à définir les mots, à vérifier les choses, il est trop tard, le mal est fait.

C’est que le travailleur, à quelque étage qu’on le prenne, est plus enclin à l’action qu’à la réflexion ; les exercices de pure logique sont ceux auxquels il est le moins accoutumé. Il est tout naturellement porté à rêver un ordre de choses où il gagnerait davantage en fatiguant moins. Voilà le fond du cœur, et vous avouerez que c’est un sol préparé à souhait pour les agitateurs et les semeurs de paradoxes. Le premier qui viendra dire à demi-voix : « Mes amis, on vous exploite ! » trouvera des oreilles ouvertes et des esprits plus qu’à moitié convaincus. Il est d’ailleurs assez facile de faire croire aux ouvriers que leur patron s’enrichit tandis qu’ils restent pauvres ; en voilà plus qu’il n’en faut pour persuader aux plus sages que le patron leur fait tort de tout ce qu’il gagne par leurs mains.