Page:About - Causeries, deuxième série.djvu/341

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que j’ai allumée à Paris ? Il y a douze ans de cela ; j’habitais l’hôtel du Grand-Mazarin, rue Mazarine ; ma chambre était une sorte de halle ouverte à tous les vents, un peu plus bas que l’entre-sol, un peu plus haut que le rez-de-chaussée. Elle doit exister encore, au fond de cette cour humide et froide. J’y fis porter, en arrivant, une charge de houille, et je me vois encore séchant mes os, comme aujourd’hui, devant cette grille suante et fumeuse. Avec quelle impatience et quelle indécision j’interrogeais l’avenir ! J’avais vingt-cinq ans sonnés, et point d’état ni de ressource. Les dix premières pages d’un petit livre ébauché timidement représentaient tout mon avoir et toutes mes espérances. Quand le feu s’éteignait, le froid me montait aux jambes et le doute me serrait le cœur ; une pelletée de charbon ranimait et ragaillardissait tout l’homme. « En avant ! » disais-je en reprenant ma plume ; et j’avançais ! »

En ce temps-là, j’étais fermement persuadé qu’un travailleur intelligent ne peut vivre et mourir qu’à Paris. Je me serais fâché tout rouge si l’on m’avait prédit que mes ambitions de toute sorte iraient échouer dans le bonheur et dans la paix entre deux montagnes de l’Alsace. Je n’avais jamais traversé une petite ville sans plaindre les pauvres exilés que je voyais bien portants, heureux et souriants à l’ombre de leurs tonnelles ou sur le seuil